Hawad - Éducation touarègue -
Ahal
«J'ai aussi participé en suivant ma mère et mon oncle maternel à ce qu'on appelle les ahal ou veillées, qui sont d'autres écoles théâtrales, tragiques poétiques (l'éducation de l'amour courtois comme les occitans du Sud de la France), philosophiques. On passe des nuits entières à faire la description d'une chamelle ou d'une gazelle et à la fin, on a l'impression qu'on épuise complètement les mots. Chaque personne qui a fait son exposé a donné une description.
C'est une philosophie de l'esthétisme
L'esthétisme ça veut dire que l'objet lui-même on le met en mouvement, on le voit sous plusieurs angles. Le critique, le commentateur qui fait son exposé doit voir l'objet sous plusieurs angles après il doit le projeter dans plusieurs espaces dans lesquels l'objet apparaîtra de manière contrastée.
Donc, on part de l'esthétisme de l'objet, puis on dépasse sa beauté, sa forme et à la fin, on entre uniquement dans le flou de l'objet, ou de la matière, ou du graphisme ou de l'espace (selon ce que l'on envisage).
Et c'est là que s'instaure l'état de vision que recherche les Touaregs, car les Touaregs pensent qu'il y a une autre philosophie (que celle de la rigidité), une autre pensée qui repose dans la tension du mouvement.
Je n'aime pas beaucoup les mots «universel », «cosmique », mais c'est la phase où l'on épuise les mots, où l'on épuise la pensée. On arrive alors à un état sauvage de la matière ou de la forme, dans la première étape primordiale ou primitive des choses c'est-à-dire où les choses existent dans une existence de la non-existence.
C'est ainsi qu'elles peuvent être nommées mais aussi qu'elles peuvent avoir une identité de non-identité parce que la «vraie» identité est fausse : c'est la société qui la donne.
Or,nous cherchons, à travers tout ça, un regard qui n'est pas culturel, qui n'est pas influencé par notre éducation, par notre conception.
Pour parvenir à ce stade, on a besoin de conversations qui durent des nuits, des mois, des années entières. On commence une conversation, on l'arrête et demain, on reprend.
La parole n'est qu'un fil : chaque fois, il faut tisser, détisser, broder, il faut tresser au-delà.»
Hélène Claudot-Hawad Ahal