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Touareg du Niger, rencontres au fil du temps
Touareg du Niger, rencontres au fil du temps
Touareg du Niger, rencontres au fil du temps

Arts et Culture nomades

Le Peuple touareg lutte pour préserver son identité et sa culture.

Poètes, musiciens, artistes touarag témoignent des combats de ce Peuple du désert, marginalisé et méconnu.

Au fil du temps...
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24 mars 2009

Du mont Tamgag

 

au Centre de Santé de Tchirozérine

Rhissa Rhossey

issa-dispensaire-de-tchirozerine

 R. Rhossey©H.Lemarécha

Rhissa Rhossey,  poète touareg, rebelle des années 90 est  responsable  du Centre de Santé de Tchirozérine : Centre important, puisqu'il emploie depuis huit ans 13 agents et dispense des soins aux nomades, qui souvent viennent de très loin. 

Les sentinelles en éveil

Plus le temps passait plus je prenais conscience d'une chose : ma vie est là. Oui, au milieu de ces malnutris au regard égaré,  au milieu de ces mères désemparées,  parfois désespérées de faire sourire ces loques humaines.

Je suis mêlé à leur vie, ému par leurs souffrances.

Quand parfois au bout de plusieurs semaines, un enfant s'en allait, j'en étais profondément bouleversé. Nos soins, nos nuits de veille n'ont donc rien  apporté ?

Et il arrivait souvent qu'un enfant s'en aille, définitivement, vers un monde meilleur, sans maladie, sans malnutrition.

Ange qu'il était, il retournait aux anges.

Mais il n'y a pas seulement des jours sombres, il y a aussi des jours de joie, des jours d'intense bonheur. Quand le mourant reprenait vie, il renouait alors avec le sourire qui s'était jadis figé sur sa face.

Il reprenait de l'embonpoint et s'intéressait à son entourage. Ses pleurs, même à la vue des blouses blanches, étaient signes de vie.

Tout cela m'exalte, me vivifie moi-même et m'apprend à me connaître, car le meilleur miroir de l'homme est son prochain.

Notre métier, comme beaucoup d'autres, est fait de moments de profonde plénitude, et aussi hélas d'incertitude.

Et ces moments d'incertitude sont cruels car nul ne peut dire en quittant un agonisant le soir qu'il le retrouvera vivant demain.

Le mince fil de la vie a ses mystères qui  nous échappent, qui échappent à la science des hommes.

Le mince souffle qui nous lie à la terre, à l'eau, à la lumière, ce mince souffle qui nous lie aux passions humaines, ce mince souffle est trésor et énigme à la fois.

Ils viennent parfois de loin. Ils ont laissé de nombreux centres de santé derrière eux ou  bien ils y ont attendu quelque temps, le temps d'un espoir.

Il en est toujours ainsi quand ils atterrissent chez nous, n'ayant bien souvent que la peau sur les os !

Oui !!! La peau sur les os et les yeux au fond des orbites !

Qu'ils viennent à nous, cela nous met  du baume au cœur et nous incite à prendre notre mission au sérieux.

Notre mission est, je le rappelle, d'aider.

Nous avons le devoir de garder allumée la flamme de leur espoir.

Et cet espoir est grand, comme l'Amour d'une mère.

C'est un métier qui appelle à soi, toujours à soi, au dépassement, au partage, don désintéressé de soi.

Nous nous relayons de jour comme de nuit avec les autres camarades infirmiers, au chevet de ces enfants, semblables à tous les enfants du monde.

Et étrangement, ces nuits de garde me rappellent d'autres nuits de garde, il y a longtemps aujourd'hui.

J'étais alors un rebelle, en faction au sommet du mont Tamgag, ma kalachnikov étroitement serrée à ma poitrine. J'avais au bout de mes jumelles la vie de centaines de combattants, qui eux étaient insouciants et s'adonnaient à leurs jeux et à la guitare. C'était toujours le même poids, la même sensation d'utilité, ce que d'autres, peut-être, nomment la Responsabilité.

Ces soirs-là sur le mont Tamgag ,j'ai  l'impression que tous ces hommes m'ont confié leur vie. Il suffit d'un sommeil traître ou d'une baisse de vigilance quelconque, pour que l'ennemi paraisse et les sacrifie.

Toutes les nuits de garde au centre sont pareilles.

Il suffit qu'un seul enfant s'en aille à mon insu. et emporte dans l'au-delà un  peu de mon âme.

Et en vérité, sur la terre, nous ne sommes toujours que des sentinelles, des sentinelles en éveil. 

A Aboubé, qui a une caresse pour chaque enfant,

Rhissa Rhossey  «Jour et Nuit, Sable et Sang, poèmes sahariens» Ed. Transbordeurs

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