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Touareg du Niger, rencontres au fil du temps
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Arts et Culture nomades

Le Peuple touareg lutte pour préserver son identité et sa culture.

Poètes, musiciens, artistes touarag témoignent des combats de ce Peuple du désert, marginalisé et méconnu.

Au fil du temps...
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13 mai 2009

Forgeron, un regard d'enfant

 

Camara LAYE,  l'enfant noir

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Lectures d'Afrique : Camara LAYE

«En fait, à la lecture de L'Enfant noir, on s’aperçoit vite que ce roman a été écrit pour un lectorat européen, plus précisément français – et c’est en cela qu’il reflète son époque. A ce lectorat, Camara Laye décrit, de l’intérieur, avec ses yeux d’enfants et ses mots d’adultes, les traditions d’une famille africaine de Kouroussa ; des traditions qu’il sent, avec beaucoup de lucidité, en passe de disparaître. Car le jeune garçon lui-même comprend très tôt qu’il ne suivra pas les traces de son père, forgeron réputé, et qu’il ne percera jamais les secrets qu’il perçoit seulement dans ce monde des grands peuplé de grigris et de pouvoirs, transmis de génération en génération, qu’il constate mais peine à expliquer .» C’est clairement un classique de la littérature africaine et le reflet d’une époque. Celle qui précède les indépendances, puisque L’Enfant noir, de l’écrivain guinéen Camara Laye, est paru en 1953, soit cinq ans avant le référendum par lequel la Guinée s’émancipera de la France coloniale. Mais ce roman n’a probablement jamais prétendu à un tel statut. Il décrit avec beaucoup de simplicité et d’humilité l’enfance de son auteur, de Kouroussa où il est né à Conakry où il a étudié, avant de s’envoler pour la France…

Un classique, disais-je. Au même titre qu’Amkoullel, l’enfant peul, d’Amadou Hampâté Bâ, auquel on ne peut s’empêcher de penser en lisant ces «mémoires» qui ne disent pas leur nom. Les deux auteurs témoignent dans ces livres des mutations et bouleversements qui ont marqué l’Afrique au temps de la colonisation ; sans prendre parti, sans pointer du doigt ni forcer le trait ; simplement en racontant leur propre histoire. Mais, et c’est mon second point, ils ne le font pas à la même époque : alors que les mémoires d’Amadou Hampâté Bâ sont parues en 1991, après la mort de l’écrivain, L’Enfant noir est publié alors que Camara Laye n’a que 25 ans… D’où une certaine naïveté, et surtout l’absence relative de recul sur ce qu’il décrit, en comparaison d’Hampâté Bâ, pour lequel beaucoup d’eau avait alors coulé sous les ponts jetés par la France sur le fleuve Niger…

Lectures d'Afrique  

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L'ENFANT NOIR  Extrait

Pour l'heure, l'un et l'autre pesaient avec force sur les branloires, et la flamme de la forge se dressait, devenait une chose vivante, un génie vif et impitoyable. Mon père alors, avec ses pinces longues saisissait la marmite et la posait sur la flamme.

Du coup, tout travail cessait quasiment dans l'atelier : on ne doit en effet, durant tout le temps que l'or fond, puis refroidit, travailler ni le cuivre ni l'aluminium à proximité, de crainte qu'il ne vînt à tomber dans le récipient quelque parcelle de ces métaux sans noblesse. Seul l'acier peut encore être travaillé. Mais les ouvriers qui avaient un ouvrage d'acier en train, ou se hâtaient de !'achever ou l'abandonnaient carrément pour rejoindre les apprentis rassemblés autour de la forge. En vérité, ils étaient chaque fois si nombreux à se presser alors autour de mon père, que je devais, moi qui étais le plus petit, me lever et me rapprocher pour ne pas perdre la suite de l'opération.

Il arrivait aussi que, gêné dans ses mouvements mon père fit reculer les apprentis. Il le faisait d'un simple geste de la main : jamais il ne disait mot à ce moment, et personne ne disait mot, personne ne devait dire mot, le griot même cessait d'élever la voix. Le silence n'était interrompu que par le halètement des soufflets et le léger sifflement de l'or. Mais si mon père ne prononçait pas de paroles, je sais bien qu'intérieurement il en formait ; je l'apercevais à ses lèvres qui remuaient tandis que, penché sur la marmite, il malaxait l'or et le charbon avec un bout de bois, d'ailleurs aussitôt enflammé et qu'il fallait sans cesse renouveler.

Quelles paroles mon père pouvait~il bien former ?

Je ne sais pas, je ne sais pas exactement : rien ne m'a été communiqué de ces paroles. Mais qu'eussent-elles été, sinon des incantations ? N'étaient-ce pas les génies du feu et de l'or, du feu et du vent, du vent soufflé par les tuyères, du feu né du vent, de l'or marié avec le feu, qu'il invoquait alors ; n'était-ce pas leur aide et leur amitié, et leurs épousailles qu'il appelait ? Oui, ces génies-là presque certainement, qui sont parmi les fondamentaux et qui étaient également nécessaires à la fusion.

L'opération qui se poursuivait sous mes yeux, n'était une simple fusion d'or qu'en apparence ; c'était une fusion d'or, assurément c'était cela, mais c'était bien autre chose encore : une opération magique que les génies pouvaient accorder ou refuser ; et c'est pourquoi, autour de mon père, il y avait ce silence absolu et cette attente anxieuse. Et parce qu'il y avait ce silence et cette attente, je comprenais, bien que je ne fusse qu'un enfant, qu'il n'y a point de travail qui dépasse celui de l'or. J'attendais une fête, j'étais venu assister à une fête, et c'en était très réellement une, mais qui avait des prolongements. Ces prolongements, je ne les comprenais pas tous, je n'avais pas l'âge de les comprendre tous ; néanmoins je les soupçonnais en considérant l'attention comme religieuse que tous mettaient à observer la marche du mélange dans la marmite.

Quand enfin l'or entrait en fusion, j'eusse crié et peut-être eussions-nous tous crié, si l'interdit ne nous eût défendu d'élever la voix ; je tressaillais et tous sûrement tressaillaient en regardant mon père remuer la pâte encore lourde, où le charbon de bois achevait de se consumer. La seconde fusion suivait rapidement ; l'or â présent avait la fluidité de l'eau. Les génies n'avaient point boudé à l'opération !

«Approchez la brique !» disait mon père levant ainsi l'interdit qui nous avait jusque-là tenus silencieux. (...)

Mais je l'ai dit : mon père remuait les lèvres ! Ces paroles que nous n'entendions pas, ces paroles secrètes, ces incantations qu'il adressait à ce que nous ne devions, ce que nous ne pouvions ni voir ni entendre, c'était là l'essentiel. L'adjuration des génies du feu, du vent, de l'or et la conjuration des mauvais esprits, cette science, mon père l'avait seul, et c'est pourquoi, seul aussi, il conduisait tout.

Telle est au surplus notre coutume, qui éloigne du travail de l'or toute intervention autre que celle du bijoutier même, Et certes, c'est parce que le bijoutier est seul à posséder le secret des incantations, mais c'est aussi parce que le travail de l'or, en sus d'un ouvrage d'une grande habileté, est une affaire de confiance, de conscience, une tâche qu'on ne confie qu'après mûre réflexion et preuves faites. Enfin je ne crois pas qu'aucun bijoutier admettrait de renoncer à un travail - je devrais dire : un spectacle ! - où il déploie son savoir-faire avec un éclat que ses travaux de forgeron ou de mécanicien et même ses travaux de sculpteur ne revêtent jamais, bien que son savoir-faire ne soit pas inférieur dans ces travaux plus humbles, bien que les statues qu'il tire du bois à coup d'herminette, ne soient pas d'humbles travaux !

Camara Laye

Forgerons touaregs et métallurgistes de l’Udalen    en  PDF                  

 

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