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Touareg du Niger, rencontres au fil du temps
Touareg du Niger, rencontres au fil du temps
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Arts et Culture nomades

Le Peuple touareg lutte pour préserver son identité et sa culture.

Poètes, musiciens, artistes touarag témoignent des combats de ce Peuple du désert, marginalisé et méconnu.

Au fil du temps...
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6 janvier 2017

Un charter pour Agadez

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Agadez « porte du désert » Coupée du monde par un cordon sécuritaire

La ville qui vivait grâce au tourisme a été oubliée depuis qu’elle est entourée de régions «formellement déconseillées» à cause de la présence de jihadistes. «Libération» a pu la redécouvrir lors d’un vol symbolique organisé depuis Paris.

Dès la sortie de l’avion, l’air chaud et sec claque sur les visages. Moins de cinq heures de vol depuis Paris pour se retrouver soudain sous une lumière aveuglante, dans une plaine aride balayée par un vent de sable. L’aéroport international Mano-Dayak se résume à deux bâtiments défraîchis et au squelette rouillé d’un avion ensablé.

Mais ce jour-là, au moins, le comité d’accueil est à la hauteur : au milieu des tams-tams et des trompettes, une foule de curieux, mais aussi des ministres et une flopée de notables drapés dans de somptueuses tenues, se bousculent pour saluer les visiteurs de ce vol improbable : un charter pour Agadez. Voilà plus de six ans qu’aucun touriste ne s’était posé sur ce petit aéroport provincial au cœur du Sahel. Et ce matin de décembre, nombreux sont ceux qui ont les yeux humides d’émotion. Car ce vol-là, c’est un pari un peu dingue, ou peut-être un baroud d’honneur. Une façon de tenter de briser l’embargo sécuritaire qui pèse sur une zone interdite.

A 1 000 kilomètres au nord de Niamey, la capitale du Niger, Agadez n’est en apparence qu’un petit point au centre d’un pays grand comme deux fois la France. Une ville aux murs ocre, perdue sur la carte, au milieu d’une vaste étendue jaune : le désert. Celui que tant de nomades et d’Occidentaux ont sillonné, souvent avec fascination, pendant des décennies. «On a si longtemps traversé les frontières sans même sans rendre compte»,soupire un habitué présent sur le vol. Comme tant d’autres, il a découvert le Ténéré,«la plus belle partie du Sahara», à partir d’Agadez. Mais aujourd’hui, «la porte du désert», longtemps vantée par les tour-opérateurs, se retrouve cadenassée. Et sur certaines cartes, comme celle du Quai d’Orsay qui fait référence dans la région, Agadez est moins une cité perdue au milieu du jaune désertique qu’une ville encerclée par une vaste étendue rouge, une couleur de signal d’alarme censée indiquer le danger maximum. Et d’abord pour les Occidentaux, auxquels on conseille d’ordinaire de limiter «à 48 heures» leur présence à Agadez.

Les restrictions ne datent pas d’hier : l’assassinat de quatre touristes français en Mauritanie fin 2007 puis l’enlèvement en septembre 2010 de sept employés d’Areva à Arlit (240 kilomètres au nord d’Agadez) ont mis un terme à l’insouciance des Occidentaux dans une zone qui fit la gloire du Paris-Dakar avant d’être le théâtre de deux rébellions touaregs, au début des années 90 puis entre 2007 et 2009. Reste que c’est bien le cancer du terrorisme islamiste qui a changé réellement la donne dans le Sahel. La veille de Noël, une humanitaire franco-suisse a été enlevée à Gao, dans le nord du Mali voisin. Deux mois auparavant, le 17 octobre, c’est un humanitaire américain qui a été kidnappé par un commando venu du Mali, à Abalak, à 270 km au sud d’Agadez.

« Pas assez de tout »

Pourtant, il n’y a pas de groupe jihadiste installé au Niger. «Mais la menace existe, elle est à nos frontières», soutient Rhissa Ag Boula, ministre chargé de cette région du nord du pays, qui fut guide touristique à Agadez dans une première vie. «Au nord, nous avons une longue frontière avec la Libye en plein chaos, et au sud, avec la partie du Nigeria où sévit la secte Boko Haram. Quand au Mali voisin, l’intervention française [lancée en janvier 2013, ndlr] n’a jamais réussi à déloger définitivement les groupes jihadistes qui y circulent», énumère le ministre, tout en inspectant les travaux de l’aéroport d’Agadez.

Deux jours après l’arrivée du vol de Paris, le ministre est inquiet. «Rien n’est prêt», s’exclame-t-il agacé en désignant les carrelages et la moquette empilés dans un coin de ce hangar destiné à se métamorphoser en «salon d’honneur». Car le Premier ministre et le président nigériens sont eux aussi attendus à Agadez pour y célébrer la fête de l’Indépendance, organisée chaque année dans une ville différente du pays. Et cette fois-ci, à Agadez, capitale de l’Aïr. Au même moment, se déroulera l’intronisation du sultan de la ville : une première depuis près d’un demi-siècle. Pour les promoteurs du vol Paris-Agadez, ces festivités étaient justement l’occasion rêvée pour renouer avec une ville coupée du monde. Et prouver peut-être que le maintien en «zone rouge» ne se justifie plus. Derrière cette offensive touristique un peu particulière, on retrouve un personnage atypique, bon connaisseur de la région : Maurice Freund, 73 ans, vétéran des vols à prix cassés sur l’Afrique, qui s’est longtemps battu pour faire du tourisme une manne de développement pour les pays du Sahel. Avant que les zones rouges ne commencent à s’étendre.

En apparence, pourtant, tout semble tranquille à Agadez. La «conjoncture», surnom de la bière locale, coule à flots. On y circule en petits triporteurs, les «adedeta» («alignez-vous»), qui zigzaguent sur les routes sablonneuses de la ville, au milieu des chèvres et des innombrables sacs-poubelles que le vent soulève jusqu’aux branches d’arbres décharnées, comme des fruits empoisonnés que personne ne songe à décrocher. Malgré la beauté des maisons en banco (mélange de terre crue et de paille), le charme des tenues chatoyantes, la pauvreté s’impose pourtant partout dans cette ville désormais coupée du monde extérieur, où l’eau courante et l’électricité sont aléatoires.

« On n’a pas assez de tout », résume Azara, une femme au visage fatigué qui tisse des tapis dans un centre social à Toudou, le quartier le plus pauvre d’Agadez, à la lisière du désert. Mais le «pas assez de tout» se ressent jusque dans le centre-ville. Comme dans cette maternité de quartier aux matelas défoncés, où l’«on fait souvent des accouchements à la lampe torche […] en raison des coupures d’électricité», selon Amira, sage-femme. Et à la chaîne, «parfois jusqu’à douze par jour», souligne-t-elle. Rien d’exceptionnel dans un pays qui détient le record du taux de natalité au monde avec 7 enfants par femme. «Pourquoi les touristes ne reviennent pas ?» s’interroge Amira, qui ne voit «aucun danger» pour les étrangers à Agadez. «En réalité, la ville a perdu beaucoup de son charme. Le tourisme était plus qu’une manne économique : la seule source de développement qui profitait à toutes les couches de la population, sans être accaparée par les intermédiaires», se désole Mawli Dayak. Lui, c’est le fils aîné du célèbre Mano Dayak qui a donné son nom à l’aéroport de la ville : coqueluche des Occidentaux, le chef touareg qui emmenait les stars dans le désert fut aussi un rebelle qui prit les armes avant de périr dans un accident d’avion en 1995. Après avoir vécu un temps en France, son fils Mawli, 39 ans, est revenu s’installer à Agadez, où il a lancé en décembre une fondation qui porte le nom de son père. Le diktat des restrictions aux voyageurs aurait plutôt le don de l’énerver : «Agadez est au centre du pays, loin du Nigeria, loin du Mali aussi. Si un Blanc était enlevé ici, ce sont les gens du coin qui iraient eux-mêmes coincer les ravisseurs», affirme Mawli, qui accuse la France «d’alimenter les rancœurs en maintenant la zone rouge, qui ne profite qu’aux militaires».

« Base des drones »

A Agadez, il n’est pas rare d’apercevoir dans les bars des hôtels d’étranges individus à la mâchoire serrée, le regard caché par des Ray-Ban, même au crépuscule. Mais les vrais militaires en treillis, eux, ne se montrent guère. Ils sont pourtant très nombreux dans le coin. Juste à la sortie d’Agadez, les Américains achèvent de construire leur plus grande base en Afrique, déjà surnommée la «base des drones» : une enclave quasi secrète, interdite d’accès même aux forces nigériennes, qui aurait coûté plus de 50 millions de dollars (47 millions d’euros) au Pentagone. Plus au nord, à Madema, ce sont les Français qui ont installé leur propre poste de surveillance militaire, alors que les Allemands et les Chinois envisageraient eux aussi de venir pointer leurs fusils dans la région.

Le Niger est ainsi en train de devenir le principal hub sécuritaire du Sahel. Visiblement pas encore assez sécurisé cependant pour laisser les passagers du vol d’Agadez se déplacer où ils le souhaitent. Après tant d’années de sevrage, imposé par les diktats des ambassades, ils rêvaient d’aller retrouver amis et partenaires dans la région. Deux jours après leur arrivée, le premier secrétaire de l’ambassade de France s’invite dans un restaurant où ils sont pour la plupart rassemblés et leur interdit formellement toute sortie en dehors de la ville. Pourtant, les passagers du vol Paris-Agadez ne sont pas des touristes ordinaires. Pour un grand nombre d’entre eux, ils sont issus du monde associatif, engagés dans des projets de développement dans la région. Comme Françoise, de l’association Talam Léman, basée en Haute-Savoie, qui a «d’abord aimé le désert avant de vouloir connaître et aider les habitants». Ou Jean-Luc Gantheil, fondateur de Croq’Nature, qui associe développement et tourisme solidaire.

D’autres ont des liens encore plus personnels avec la ville : à l’instar du père photographe et historien spécialiste du Sahara d’Aude. Ou de l’oncle missionnaire installé dans la région de Marie-Hélène, qui a elle aussi créé une association, baptisée Yakhia, en hommage au nom touareg de son oncle décédé. «Il est parti de France en 1962, rappelle cette petite femme blonde installée à Saint-Marcellin, dans l’Isère. A l’époque, c’était un sacré voyage…» Aujourd’hui, il faut croire que ça l’est encore. Ou à nouveau.

L’âge d’or ne reviendra plus

Le danger est-il pour autant réel à Agadez ? Ou bien s’agit-il d’un excès de zèle ? Voire d’une manière de décourager les curieux ? Beaucoup de Nigériens le pensent. «La zone rouge, c’est d’abord une zone réservée. Quand il n’y a pas de touristes, il n’y a pas de curieux qui pourraient poser des questions», considère ainsi Agdal Waissan, un jeune nigérien qui organise pour la deuxième fois «un marathon de la paix» pendant les festivités de l’Indépendance. «Quand on voit le déploiement impressionnant des militaires dans la région, on se demande si c’est une tentative de recolonisation ? Ou bien la préparation d’une nouvelle guerre, en Libye par exemple. Mais le Niger n’en tire aucun bénéfice», affirme M., qui a travaillé sur la base américaine sans jamais pouvoir y circuler librement. En mais 2013, la ville et sa région ont pourtant été la cible de deux attentats-suicides, les premiers jamais perpétrés au Niger. Mais les assaillants étaient venus du Mali et cherchaient peut-être précisément à «punir» un pays allié des Occidentaux, après la mort du leader jihadiste Abou Zeid, tué au Nord-Mali par les forces françaises.

«L’arrivée des bases occidentales passe parfois mal auprès des populations locales, admet Rhissa Ag Boula, le ministre chargé de la région Nord. Mais au moins, cette aide étrangère nous permet de faire face à la guerre contre le terrorisme», ajoute-t-il, rappelant que le «budget de la défense du Niger a été multiplié par dix depuis quatre ans». Ce qui, bien évidemment, suppose d’autres sacrifices : notamment dans l’éducation, alors que les grèves sont récurrentes dans le système scolaire nigérien, notamment en raison des arriérés de paiements. Quand au tourisme, l’âge d’or ne reviendra plus, reconnaît le ministre : «Il faut arrêter de rêver : le tourisme d’aventure, c’est fini. On peut envisager un tourisme balisé sous escorte dans des zones sécurisées. Cela vous choque ? Vous acceptez bien de vivre avec les contraintes de Vigipirate, à Paris.»

L’insouciance ne fut qu’un mirage

Dans son bureau orné de rideaux en pagne qui vante la «paix à Agadez», le maire de la ville, Rhissa Feltou ironise sur «un tourisme de réserve» et envisage la militarisation de la région avec un certain fatalisme : «Le Niger est un Etat qui se cherche, vous croyez qu’on a le choix de refuser les diktats internationaux, cette aide étrangère ?» Mais à Agadez, la sollicitude intéressée des Occidentaux ne se limite pas au domaine militaire. Avant de s’y rendre pour la fête de l’Indépendance, le président, Mahamadou Issoufou, était à Bruxelles, où il s’est vu récompensé d’une aide de 107 millions d’euros, notamment pour avoir limité l’afflux de migrants passant par Agadez pour rejoindre l’Europe.

Ces dernières années, la ville a ainsi vu transiter des milliers de migrants venus d’Afrique subsaharienne. Sauf que depuis juin, sous la pression des Européens, le régime a serré la vis. Brutalement. «Les autorités font désormais la chasse aux passeurs, dont les véhicules sont confisqués. Plus de 100 personnes ont été jetées en prison», rappelle le journaliste Ibrahim Manzo Diallo, rédacteur en chef de Radio Sahara. Résultat de ces coups de filets : les migrants sont désormais invisibles à Agadez. Mais qui se fit aux mirages dans une ville du désert ? «Ils sont toujours là, mais dans des maisons encore mieux dissimulées et aux mains de trafiquants encore moins scrupuleux», confie un humanitaire qui a accès à ces clandestins cachés en ville. A Agadez, les migrants sont d’ailleurs plutôt bien vus, assurant des revenus pour «7 familles sur 10», répète-t-on souvent, avant d’ajouter : «C’est une alternative au tourisme.» Mais les touristes non plus n’ont pas tous disparu : certains guides évoquent ainsi facilement ces richissimes Japonais ou Qataris qui, malgré la zone rouge, s’offrent encore le grand frisson des nuits étoilées sur les dunes, moyennant des escortes militaires payées à prix d’or. «Il y aura toujours des gens pour qui l’amour du désert sera plus fort que les consignes de prudence. Il y aura toujours des associations qui viendront dans nos villages sans prévenir leurs ambassades», soupire Issouf Maha, le maire de la commune de Tchirozérine, à 40 kilomètres de là, où comptait se rendre une grande partie des passagers du vol Paris-Agadez. «Le vol avait une portée symbolique : il s’agissait de prouver qu’Agadez était à nouveau fréquentable. Les restrictions aux sorties en dehors de la ville ont limité la portée de cette tentative, confesse le maire. Mais le risque de terrorisme ne se limite pas au Sahel. C’est une nébuleuse globale», constate-t-il à la veille du retour de ses amis en France.

Les retrouvailles avec Agadez auront duré une semaine. Le temps prévu pour les festivités. Pendant quelques jours, la ville a vécu une parenthèse magique avec concerts, défilé de mode, marathon et danses dans le palais du sultan. Mais au prix d’un incroyable déploiement militaire. L’insouciance ne fut qu’un mirage, strictement encadré. A l’issue du séjour, au moment où le vol s’apprête à décoller pour Paris, un autre avion, affrété par le Maroc, décharge des vivres destinés aux migrants. Le temps d’une rotation, la nostalgie des uns aura ainsi croisé le désespoir des autres sur un petit aéroport perdu au centre du Sahel. Comme un dernier mirage, avant de changer de planète.

Maria Malagardis    Libération  le04/01/2017

Agadez : «l'énergie de l'espoir»

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