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Touareg du Niger, rencontres au fil du temps
Touareg du Niger, rencontres au fil du temps
Touareg du Niger, rencontres au fil du temps

Arts et Culture nomades

Le Peuple touareg lutte pour préserver son identité et sa culture.

Poètes, musiciens, artistes touarag témoignent des combats de ce Peuple du désert, marginalisé et méconnu.

Au fil du temps...
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8 janvier 2017

Un charter pour Agadez ou ...

  

«Agadez, l’énergie de l'espoir»

Jade MIETTON

jade_mietton_agadez

Jade Mietton est lyonnaise, réalisatrice de documentaires et organisatrice de soirées sahariennes. Après de nombreux voyages dans le Sahara et un premier film : Agadez,  qui retrace le parcours de quatre touareg en France, la jeune femme décide de partir un mois au Niger en décembre à la découverte du pays.

Tribune libre, ma réponse à l'article de Libération

Cet article ne sera pas publié dans de «grands» journaux ou magasines, mais je tiens à relater mon expérience à Agadez, où j'ai passé 3 semaines en décembre, en réponse à l’article de Libération du 4 janvier 2017 intitulé : «Agadez, porte du désert»

Désolée, je ne vais pas vous sortir ici l’habituelle rengaine misérabiliste et sécuritaire de l’Afrique. Non, je ne vous parlerai pas de migrants, de présence djihadiste, d’insécurité, de zone rouge... les seuls couleurs que je pourrai évoquer ici sont celles des tenues des femmes, arc en ciel éclatant sur peau noire.

Étant relativement peu intéressée par les défilés militaires, les cérémonies officielles de décoration des ronds points... je suis partie à Agadez pour rencontrer les agadeziens.

Une semaine ne m’offrant pas assez de temps, je décide de m’immerger un mois. Après un train, un bus et deux avions, j'arrive à Niamey, le 1er décembre. Le voyage n’est pas terminé, 1000 km en voiture à travers le pays pour rejoindre la capitale de l’Aïr. On  m'avait prévenu de l’état de la route... on ne peut s’en rendre compte sans l’avoir empruntée.
Une honte pour un axe principal...

Agadez

Dès la sortie du 4X4, l’air plus frais qu’à Niamey me caresse le visage. Après 18h sur cette «route» éprouvante, mon corps semble sortir tout droit d’une machine à laver après essorage. Je suis fatiguée. Mais bizarrement, j’ai aimé cette traversée.
Elle est à l’image du pays, difficile mais belle, variée, changeante, colorée... et je garde le souvenir d’un excellent mouton mangé à Abalak lors de la pause repas !

Ça y est, je suis à Agadez ! Dans cette zone, pardon, cette région qui alimente mes rêves depuis des années ! Pas de comité d’accueil en grande pompe, pas d’officiels ni de tapis rouge mais une famille m'attend. Rabi, la maman, accompagnée de sa ribambelle d’enfants plus beaux les uns que les autres. Leurs yeux brillent de générosité, de simplicité et de bons sentiments.
Ils ne parlent pas français, il n y a pas de douche, pas d’eau chaude, pas de «conjoncture», tous dépendent des coupures d’électricité... qu’importe !

Je voyage aussi et surtout pour ne pas retrouver ce que j'ai à porté de main à la maison. Sans même me connaître, ils m'intègrent immédiatement. Sauf peut-être la petite dernière : Naïma, qui a très peur de moi... me trouve-t-elle trop pâle, malade ? Ça n’a pas duré. On est vite devenu copines et j’ai bronzé un peu !

Au rythme de leur quotidien, nous partageons chambre, repas, corvées, jeux... nous vivons ensemble et créons très rapidement des liens aussi serrés que les tresses touareg que Rabi me fait sur la tête.

Dans cette ville aux murs ocre, au centre d’une carte, point de départ des plus belles excursions sahariennes, je me sens bien...
Dans le dédale de ses rues poussiéreuses, j’aperçois la mosquée, mythique, je retrouve des amis touareg croisés en France, surréaliste ! Moment de joies intenses, larmes d’émotions dissimulées par nos accolades.

Les journées sont ponctuées de belles rencontres, de retrouvailles, de grandes discussions autour du thé ou d’un Oriba. On parle économie, politique, éducation, environnement, tourisme, élevage, agriculture. ... On se pose des questions mutuellement. Très simplement, très franchement ! Tous très ouverts, très curieux. Comme un soir à Azzel, à 15 km d'Agadez, où j'ai eu une grande conversation sur les relations hommes-femmes avec Tchimba, 67 ans et ses amis du village.

« Chez vous les Blancs, c’est très différent d’ici » conclut-il.

Sans jamais tomber dans le jugement, nous prenons le temps d’apprendre les uns des autres.

En ville, certains me prennent à parti, ils ont des messages à faire passer, à leur gouvernement, à l’Occident, au monde. A l'instar de Hamza, forgeron, qui souhaite s’exprimer. Le commerçant résume : plus de touristes, plus de clients, plus d’argent... Il s'étonne de l’image de son pays en France quand il constate le nombre d'attentats perpétrés sur notre sol et chez nos proches voisins... Il me demande de leur faire une bonne publicité «pour que les amis reviennent» ! Je le laisse témoigner face caméra.

Il a toute l’énergie de l'espoir.

jade_mietton_agadez_niger

Sorties de route

N’ayant pas attendu dans une salle climatisée qu’on me lise mes droits, je décide de quitter la ville pour partir en brousse, à 120 km d(Agadez. Curieuse d’autres points de vue, d'autres histoires. Même accueil chaleureux dans ce petit campement Peuls. De nouveaux regards scintillants comme autant d'étoiles dans le ciel ce soir-là. Nuit dehors, fraîcheur ambiante tempérée par la chaleur des attentions de mes nouveaux amis et du feu crépitant. Alors qu’ « ils n’ont pas assez de tout », ils me partagent l’essentiel, un bout de leur vie : dattes, fromage, riz et problèmes quotidiens.
Devant la caméra, les revendications pleuvent de la part de Doula, chef de groupement : manque d’accès à l’éducation, aux soins, sentiment d’être laissé pour compte...

Le plus choquant pour moi : l’accès à l’eau potable, pourtant indispensable aux hommes.
Indispensable aussi pour les troupeaux, ressource principale, bien le plus précieux qui conditionne la vie des Peuls en brousse.
Je vais chercher l’eau du puits moi-même. Liquide gris, parsemé de mouches et d’excréments de chauve souris. Infâme. Vital.

Oui, le Niger à beaucoup à faire pour son peuple.
Oui, le peuple est composé de Nigériens motivés, optimistes, pleins de projets et d’initiatives.

Comme mon ami Agdal Waissan avec son « Grand Marathon du Ténéré » à qui j’ai fait la surprise de ma visite.
Même si la mise en place est difficile, il ne lâche rien, il ne se pose pas en victime blasée par le manque d’engagement concret de son gouvernement. Malgré le travail et l’énergie que ça lui coûte, malgré le fait qu’il n’en récolte rien, il continue de transpirer pour cette noble cause : courir pour la paix au Sahel.

Après avoir travaillé à ses côtés en France, je suis très fière de courir le GMT, aux côtés de Nigériens, de Togolais, de Béninois....... et bien d’autres. Je souhaite à Agdal - mais je n’en doute pas - que cet évènement se pérennise, que tous les athlètes africains viennent tenter l’expérience ! Un jour peut-être, les athlètes du monde entier ! Qu’il contribue à véhiculer pour sa région, une belle image de dynamisme et d’espoir.

Je retrouve un autre ami, Mawli Dayak, connu à Paris, de retour chez lui à Agadez. Déjà bien occupé par sa société Temet Évènements, engagée dans l’organisation de manifestations culturelles, touristiques, et la promotion du Niger ; il vient de lancer une ONG, la fondation Mano Dayak. Autre ambition qui promet de beaux projets pour l’avenir de cette région. Mawli et Agdal font partis de ceux qui ne voient pas uniquement leur intérêt personnel et immédiat. Ils pensent au long terme, ils pensent pour toute une communauté.
Ces deux hommes d’exception, après leur séjour en France, auraient pu mettre un terme à leur investissement au Niger. Mais ce passage, cette expérience enrichissante leur a permis de se concentrer sur l’essentiel : des projets à accomplir chez eux. Je suis admirative de leur volonté, leur personnalité et leur faculté d’adaptation...

Toutes ces initiatives sont à suivre et à encourager. Elles reflètent les envies, l’énergie d’une jeunesse qui n’attend pas grand chose du gouvernement et des interventions étrangères mais qui prend elle-même ses décisions et son avenir en main.

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La fête ! Et après…. ?

Le vol Paris-Agadez se pose sur l’aéroport international Mano Dayak. En ville, je retrouve bon nombre d’amis français, fidèles du Niger, venus profiter de cette trop courte semaine. Chaque jour comporte son lot d’événements, cérémonies officielles, défilés militaires, GMT, intronisation du sultan, fantasia, FIMA, concerts… Le président lui-même fait le déplacement pour la fête de l’Indépendance.
Un vent du tonnerre ce jour-là… comme s’il voulait nous dire quelque chose...
Les militaires sont nombreux, quoi de plus normal dans un tel contexte ! Quand Hollande se déplace à Lyon, le dispositif est comparable.
Pendant que certains font la fête, je passe du temps chez mes amis forgerons au pied de la mosquée. Hamza sourit, je le devine très clairement sous son taguelmoust ! Une aubaine l’arrivée de cette centaine de touristes. Il me demande combien de personnes arriveront lors du prochain charter. Je lui explique que ce n’est pas prévu, que c’est un vol exceptionnel, juste pour les festivités. Surpris, ses pommettes retombent :
- « Il n’y aura qu’un seul avion ? ».
Je lis la déception dans son regard.
- « Pour l’instant Hamza, pour l’instant… Il y en aura d’autres ! Inch’Allah ! Et on va tout faire pour ! Le tourisme ne sera peut-être plus comme avant mais il peut revenir différemment. On peut encore espérer, on peut encore agir ! ».
Nous partageons un thé dans sa boutique.

Des mètres cubes de béton, des kilomètres de macadam, un feu d’artifice et quelques dizaines de millions de Francs CFA plus tard, quels bénéfices durables et quotidiens pour les Agadeziens ? Dans quoi vont être investi les 107 millions d’euros d’aide attribuée par Bruxelles au président Mahamadou Issoufou ? J’aurai bien quelques idées…

« Théâtre de rébellions », « zone interdite et oubliée », Agadez est pour moi un merveilleux carrefour de rencontres et d’échanges. Il est temps de partir, rejoindre Niamey et reprendre l’avion, les miens m’attendent pour Noël. Les au revoir sont sobres et rapides. Une poignée de main, une accolade, un regard qui ne s’attarde pas. J’ai du mal à retenir mes émotions, je sers les enfants dans mes bras, je les embrasse ! Eux sont graves, ne me montrent rien et filent dans la maison. On me presse, le 4x4 m’attend… 1000 km dans l’autre sens. Dans le rétroviseur, le portail rouge s’éloigne, dernière traversée de la ville. Je sais qu’ils pleurent et j’ai moi-même beaucoup de larmes dans les yeux.

Le Quai d'Orsay conseille d’ordinaire aux occidentaux de limiter à 48h leur présence à Agadez. J'en ai cumulé 480.
J'ai eu de la chance me direz-vous! Et je vous répondrais : Ha ça oui ! J'en ai eu de la chance ! Je viens de passer un mois très enrichissant ! Mon insouciance n’était peut-être qu’un mirage mais ce fut une illusion magnifique faite de moments inoubliables !

Effectivement, je garde en mémoire ces visages souriants d’hommes et de femmes, les regards et les rires des enfants.
Ils accumulent beaucoup de contraintes, que ce soit dans la capitale, en ville ou en brousse. Mais chacun tente de s’en sortir, à joindre les deux bouts. Malgré cette vie difficile, ils gardent les valeurs simples et essentielles d’accueil, de sympathie, de générosité. Et certains ne font pas que rêver d’un avenir meilleur, ils sont en train de le construire.

Est-ce qu’Agadez est à nouveau fréquentable ? Pour ma part, j’ai hâte de la retrouver.

Jade Mietton  Article et photos Jade Mietton

 

 

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