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Touareg du Niger, rencontres au fil du temps
Touareg du Niger, rencontres au fil du temps
Touareg du Niger, rencontres au fil du temps

Arts et Culture nomades

Le Peuple touareg lutte pour préserver son identité et sa culture.

Poètes, musiciens, artistes touarag témoignent des combats de ce Peuple du désert, marginalisé et méconnu.

Au fil du temps...
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13 octobre 2019

Quand les femmes chantent l’âme et l’exil touaregs

Tartit

tartit_musicien_touareg

Au Mali, la situation géopolitique née des évènements de 2012 s’est muée en étouffant statu quo. Bien des Touaregs — artistes compris — vivent dans des camps de réfugiés. Cet exil sans horizon est chanté par l’ensemble féminin Tartit, pionnier des groupes touaregs qui tente de maintenir en vie — par la musique — l’espoir de jours meilleurs.

Imaginez la danse d’un dromadaire, distingué, fin et élégant qui frétille, harnaché, sous son plus beau jour. Imaginez un homme, se tenant adroitement sur la selle de la monture, habillé en bleu ciel, le visage entièrement recouvert d’un long chèche indigo et le regard scintillant de désirs. Imaginez sa tête, en train de tournoyer, tel un derwiche saharien, possédé et abandonné à sa propre possession. Imaginez cela, et vous entendrez les battements endiablés et inlassablement entraînants de la «Tachidialt de Tartit». 

Deux mortiers en bois, recouverts de cuirs tendus, fixés solidement par une corde. Le plus petit recouvert d’une peau sèche, pour produire un son très aigu, tandis que le plus grand est recouvert, par-dessus le cuir, d’un tissu imbibé d’eau : sa sonorité beaucoup plus lourde et vibrante vous prend aux tripes. Cet assemblage alternativement frappé par les femmes, accompagné de leurs chants et youyous, est communément appelé «Tachidialt» (ou tende, selon les régions) : il donne un rythme invitant à une gracieuse danse qui met en transe même les nomades les plus stoïques.  

Parler de Tartit, c’est éveiller les tréfonds mêmes de la culture touarègue, dans ce qu’elle a de plus authentique. Mais la musique du groupe, loin d’être figée, s’est construite avec un remodelage intelligent des différents modes musicaux touaregs, tout en se confrontant au dialogue avec le monde extérieur.

Révélé en 1995 sur la scène mondiale par le festival « Voix de Femmes » à Liège (Belgique), Tartit — qui signifie « Union » en langue tamasheq — y fait sensation et devient l’année d’après le premier groupe touareg, à enregistrer un album international dans un studio en Belgique. Cependant, le groupe a été créé quelques années plus tôt, dans le tout premier camp de réfugiés malien en Mauritanie, dont les restes ont servi à (re) construire celui de M’béra en 2012. L’histoire de cette formation est donc intimement liée aux conséquences humaines et humanitaires de la récurrente question touarègue. 

Les femmes, majoritaires, sont les figures de proue du groupe. Les musiciens qui les accompagnent font entendre toutes les sonorités de la musique touarègue. Il y a d’abord le son de la «Tachidialt» qui donne le tempo rythmique, puis la complainte de l'Emzad, violon monocorde, sortie de la plus immémoriale mythologie ; La «Tehardent», le luth qui narre l’épopée, la geste, les faits historiques et l’éloge de la généalogie ; enfin, la guitare acoustique ou électrique qui apporte une note moderne, semblable à la musique des Tinariwen. Il faut signaler d’emblée que Tartit est une conception inédite de fusion des instruments précités. De ce fait, le groupe est considéré comme un orchestre emblématique de la Culture touarègue. On y trouve également « des représentants » de toutes les strates de cette société saharienne aux hiérarchies pyramidales, marquées par la féodalité. 

Un groupe dispersé par les conflits

Tout ce monde vit encore dispersé, dans des camps des réfugiés au Burkina Faso, en Mauritanie, à Bamako, ou encore au fin fond du désert, dans la région de Tombouctou, comme en témoigne le titre « Leïlila » issu de leur dernier album :

«La solitude, la nostalgie et l’inquiétude

Il est faux qu’elles tuent
Car si elles tuaient, j’en serais morte
En vivant dans des pays
Où il n’y a ni maman, ni papa, ni mes frères et sœurs»

En raison de cet éclatement, Tartit n’a pu enregistrer son dernier album («Amankor» paru début 2019) que grâce à l’acharnement de Fadimata walet Oumar, surnommée « Disco ». Véritable pasionaria touarègue, elle est toujours présente quand il s’agit de défendre la cause de son peuple. Son terrain d’action, loin des champs de bataille, est la noble lutte culturelle. Celle dont les Touaregs peuvent (peut-être ?) encore rester concrètement maîtres, au milieu des jeux d’influences (internes et externes) faits d’instrumentalisations, récupérations et manipulations diverses.

L’intérêt de lutter culturellement, avec un message éminemment politique, Fadimata walet Oumar, leader de Tartit, semble l’avoir compris assez tôt. Ainsi, elle fait honneur à la place de choix et au statut élevé que réserve depuis toujours le peuple touareg, à la femme. Elle est aussi présente, au quotidien, sur le terrain humanitaire. Au cours de ces dernières années, passées en exil au Burkina Faso, elle s’était davantage préoccupée du sort des femmes réfugiées, qu’elle organisait, éduquait et représentait au sein des organisations humanitaires comme vis-à-vis des autorités du pays d’accueil. Un saisissant portrait, tourné alors par Marlène Rabaud et Arnaud Zajtman dans leur documentaire « Caravane Touareg » révèle excellemment les différentes facettes de cette femme engagée qui consacre sa vie au service des autres, tout en faisant de son art un objet militant.

Depuis trois décennies, l’artiste n’a de cesse de faire émerger des poésies du répertoire traditionnel, d’en créer de nouvelles, d’imaginer des rythmes et de nouvelles compositions, quitte à bousculer souvent les traditions et opinions récalcitrantes. Tout cela, dans l’unique but de faire bouger les lignes et de maintenir encore vivante une culture qui lui semble être en voie de perdition. « Dans le nouvel album, nous avons tout fait par nous-mêmes, avec les moyens du bord, avec les quelques moyens dont nous disposons personnellement », explique-t-elle, sans rien demander, consciente de sa responsabilité. La battante, qui n’en est pas à son premier coup d’essai, a cultivé cette obstination au cours d’un long parcours, atypique et prodigieux. Son Surnom, « Disco » célèbre et évocateur chez les Touaregs, en témoigne.

Qu’il s’agisse de la dureté de l’exil d’aujourd’hui ou des moments heureux d’hier, les chants et sonorités traversant l’album «Amankor» nous entraînent dans une fascinante, exaltante, instructive écoute, qui fait naviguer aussi bien que chavirer le cœur. On est transporté vers des mondes imaginaires, fantasques et souvent douloureux. Et c’est ce voyage né des tréfonds de l’exil que propose le groupe dans ses disques, mais aussi sur les scènes du monde : un plaidoyer, chez eux comme à l’extérieur, pour garder en vie ce que les Touaregs ont de plus précieux, leur culture.

Intagrist el Ansari     PAM 11 octobre 2019

 

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