«Le Silence des Horizons»
Beyrouk
Présenté par Frédéric l'Helgouach - Médiapart
Hommage d’un grand écrivain fils du sable aux contes ancestraux, aux djinns, aux visages nomades burinés par le temps et les luttes. Mais aussi alerte certes brillante mais de la dernière chance pour un monde menacé
« Avant de retrouver Lachgar
Tu graviras d’abord Leegal et ses roches acérées,
L’oasis de Titrin, tu la verras au loin,
Tu continueras ton chemin sans te retourner
Et tu apercevras les dunes d’Aranatt
Dorées mais dures à traverser
Tu iras à l’est pour les contourner
Et en face de toi s’offriront les gorges
d’Amendel »
Poème pour s’orienter dans les étendues sans pitié, poème effacé : il faudra payer le prix de l’oubli.
La Mauritanie, pays de tribus grand comme deux fois la France, voisin du troublé Mali (actuellement en proie à la folie des djihadistes), pays des griots, de l’oralité et du million de poètes, pays hybride partagé entre son arabité et son africanité tracé à la règle par les colonisateurs mais aux mythologies encore multiples (peule, soninké, wolof), traditions poétiques et langues mêlées (arabe, pulaar, soninké, hassaniya, française) avec le Sahara comme point cardinal, point d’union. Ce géant qui déborde, se moque des frontières humaines, domaine de toujours des Bédouins et de leurs troupeaux, gardiens de la mémoire des sables, des oueds et des cités perdues.
L’œuvre de l’écrivain mauritanien Beyrouk (qui se décrit comme francoscribe plutôt que francophone) se concentre, depuis «Et le ciel a oublié de pleuvoir» en 2006, sur ce désert-identité, sur ses peuples, ses contes, les mystères de ses dunes, comme si l’auteur s’était donné pour mission de sauver ce patrimoine, ces modes de vie menacés par une modernité brutale et par la main wahhabite des pays du Golfe qui touche et écarte d’un doigt lent mais sûr le tolérant soufisme mauritanien.
« Ces lueurs qui maintenant s’affadissent, elles vont d’abord s’embrunir avant d’être submergées, demain, par les rougeurs du soleil, l’humanité se réveillera vraiment et se regardera alors. N’aura-t-elle pas honte de ce qu’elle a été ? »
L’uniformité - l’époque en est friande - voilà bien le danger. Les pions s’avancent, la jeunesse oublie et se tourne vers les chimères occidentales ou les abysses intégristes tandis que les nomades sont enjoints de regagner les villes et d’abandonner les traditions séculaires : besognes ingrates et misère les y accueilleront. Car des castes honteuses, peu parviennent à s’extraire. Les grandes familles de Maures blancs (Beïdhane) dominent vie politique et économique tandis que les Négro-Africains et les Haratine (Maures noirs) subissent un mépris non-dissimulé. Contrairement au Maghreb, la culture berbère doit y subir un complexe intrigant et une arabisation à marche forcée qui au final la réduit à son expression minimale.
«Le Silence des Horizons» (tous les livres de Beyrouk) doit s’aborder avec ce panorama en tête pour ne pas en rater l’essence et les subtilités.
Illustrations Oumar Ball
Oumar Ball - Peintre,Sculpteur, Illustrateur