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Touareg du Niger, rencontres au fil du temps
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Arts et Culture nomades

Le Peuple touareg lutte pour préserver son identité et sa culture.

Poètes, musiciens, artistes touarag témoignent des combats de ce Peuple du désert, marginalisé et méconnu.

Au fil du temps...
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15 juin 2021

Du bitume parisien à la savane sahélienne

 

Le voyage poétique de Wasis Diop

Marianne

 

wasis_diop_artiste_senegal

 

Auteur, compositeur, chanteur et guitariste, Wasis Diop revient sur le devant de la scène après une longue absence avec un nouvel album, « De la glace dans la gazelle ».

Rencontre avec ce vagabond des sons, qui de Dakar, sa ville natale, à Paris, sa ville d’adoption, en passant par la Jamaïque et le Japon, s’est bâti une carrière atypique.

On avait perdu de vue Wasis Diop, ce discret lonesome cowboy de la world musique à la silhouette gracile. Ces derniers temps, l’artiste sénégalais, parisien depuis les années 70, a certes continué d’œuvrer pour des musiques de films (Grigris en 2013, Une saison en France en 2017) comme il l’a toujours fait, entre autres avec son frère le cinéaste Djibril Diop Mambéty (Hyènes, La petite vendeuse de soleil) disparu en 1998. Mais sa discographie, elle, était au point mort.

La récente sortie de son album De la glace dans la gazelle a donc pris des allures de renaissance. Dense, florissant de sons, de sens et d’images, cet opus pop finement ciselé est entièrement chanté en français. C’est pourtant le plus africain de tous ses albums. Sur un tapis de percussions aériennes où le subtil Steve Shehan fait des merveilles, Wasis Diop se fait conteur. Sa voix grave embrasse douze titres pour ne faire qu’une l’histoire de cet album. Son secret ? « J’ai fait en sorte de définir toutes les chansons avec le même tempo, un tempo 120, ainsi il n’y a pas d’interruption, nous confie-t-il lorsque nous l’avons rencontré le mois dernier. Du début à la fin, on a ce battement de cœur permanent qui permet de ne jamais être dérangé quand on passe d’une chanson à l’autre ». 

DE PARIS À DUBAÏ

L’immersion commence par une balade parisienne, au fil de l’eau, du côté de l’île Saint-Louis. Là où notre rêveur éprouve la nostalgie du Sénégal et retrouve la mélancolie des promenades d’antan en bord de mer avec sa mère et ses frères ; là aussi où aujourd’hui les réfugiés échouent. Puis, escapade à Dubaï où les gratte-ciels fricotent avec la neige. On remonte ensuite le temps avec un hommage au grand percussionniste Doudou Ndiaye Rose célébrant en 1989 le bicentenaire de la Révolution française  entouré de ses « champs de roses », ses danseuses. L’ombre de Ronsard plane. On rêve enfin à la grandeur de l’empire mandingue et à la magie du pays Dogon avec Jean Rouch dont la voix samplée ensorcelle.

Toujours poète, parfois taquin, voire provocateur, Wasis Diop commet avec De la glace dans la gazelle un album si riche qu’il faut l’explorer à plusieurs reprises pour en goûter toutes les subtilités sonores et sémantiques. Rencontre.

Marianne : Depuis Séquences sorti en 2014 et regroupant certaines de vos musiques de films, vous aviez disparu. Où étiez-vous ?

Wasis Diop : Je n’ai pas fait grand-chose pour moi, à part quelques musiques de films et des compositions personnelles. Je me suis occupé de mon ami Joe Ouakam* à Dakar pendant 4 ans, on a monté des expositions ensemble. J’ai aussi fait un documentaire sur lui qui parle de la fin de sa vie. C’était un homme élégant, un dandy comme on en n’aura plus à Dakar, une lumière avec une culture essentielle, aussi bien ouverte sur le monde que rattachée à la culture sénégalaise léboue, proche de la poésie, où il est important de dire des belles choses.

Et puis l’idée même de faire un disque ces dernières années ne m’est pas venue car je pensais que le disque était mort. C’était une réalité, on a traversé une période d’hésitation, les maisons de disques ne produisaient plus que des emballages perdus comme je les appelle, des choses jetables. Si je n’avais pas rencontré Cyril Dohar, producteur de mes deux derniers albums, je n’en aurais pas refait.

* célèbre artiste sénégalais mort en 2017

Marianne : Ce nouvel album est en français alors que tous les autres étaient en wolof. Pourquoi ?

Wasis Diop : Je n’avais pas envie de refaire ce que j’avais déjà fait, supposant avoir suffisamment exploré le wolof, ma langue maternelle dans toute ma carrière. Un album en français, avec toute la problématique de la langue qui n’est pas la mienne, une langue étrangère, ça m’intéressait. Quelles émotions ça allait produire ?

Une langue est une musique en soi, elle influence complètement la façon de composer, d’être et de réfléchir une histoire. Ce qui est passionnant aussi, c’est le fait que venant d’un pays colonisé par la France, tout ça m’a renvoyé à l’école française, à mon enfance, à ce pas qu’il fallait franchir pour entrer dans une autre langue, d’autres références. Comme j’avais beaucoup souffert à l’école à cause de ça, j’avais vraiment l’impression d’être encore à l’école primaire quand j’ai commencé ! La musicalité du français m’impose un exercice que j’aime, que je découvre. Avec mes autres albums, je suis vraiment dans le Sahel, j’ai la voix haut perchée. Là, ma voix monte pas, je suis dans le bitume ! C’est la langue qui m’a imposé ça.

De la glace dans la gazelle est truffé de métaphores et de doubles sens, à commencer par ce titre qui évoque à la fois le réchauffement climatique, les migrations Sud-Nord et la bière sénégalaise, la Gazelle.

MarianneLe wolof ne permet-il pas de jouer de la polysémie des mots ?

Wasis Diop Non, car le wolof s’inscrit dans un autre univers, celui du fantastique. C’est une langue animiste, elle n’est pas dans la rationalité comme le français. Il n’y a pas de barrière au niveau de la pensée, tout se mélange, le monde réel, le monde irréel et même le monde invisible. J’ai gardé ce monde fantastique, cette interprétation de la vie. Comme quand j’évoque dans le titre Amé Ly Pandémie ce « cheval au galop [qui] sème la mort sous ses coups de boutoirs ». Pour moi un virus n’est pas un virus, j’ai besoin de le voir. Il m’évoque la puissance d’un cheval au galop.

Marianne : Pensez-vous la musique en images ?

Wasis Diop : Oui. Parfois, ces images me viennent du cinéma, de ce que j’ai partagé avec mon frère Djibril, et du fait que j’ai été photographe aussi dans ma jeunesse avant de faire de la musique. Ce qui me passionnait quand j’étais petit, c’était aussi tout ce j’entendais, surtout la nuit, quand je ne dormais pas : les cérémonies dans la rue, portées par le vent, les voix qui se mélangeaient, venaient de loin. C’était captivant. Je pense que si je suis devenu musicien, même si j’espère ne pas être que ça, ça vient de cet assemblage de sons, mélangés à ceux des animaux. Un rugissement de lion, c’est un tremblement de terre ! Cette force !

Je l’entends encore.

Marianne : Vous chantez en français, vous évoquez Paris mais pas moins de six titres sont consacrés de près ou de loin au Mali et au grand empire qu’il a été avec Soundjata Keita au XIIIe siècle. Pourquoi donc ?

Wasis Diop : Les autres pays de cette région n’existeraient pas sans le Mali. Soundjata Keita a été un mansa [empereur, roi] extraordinaire, semblable à Alexandre Legrand, Hercule ou Samson. Et puis il y a eu Bintou Wéré un Opéra du Sahel au Théâtre du Châtelet dont j’ai assuré la direction artistique et musicale en 2007. Cette création m’a ouvert les portes du Mali. J’y suis resté longtemps et j’ai voyagé un peu partout là-bas pour faire un casting. J’y ai rencontré des musiques, des troupes, des énergies, des images incroyables.

Pour moi, l’Afrique c’est plus le Mali que le Sénégal car finalement au Sénégal, il y a eu un métissage presque parfait entre les Gaulois aventuriers qui se sont approprié ce pays et ses habitants. Ça n’a jamais été difficile entre les deux parties sauf quand il a fallu construire le chemin de fer qui devait traverser le Sénégal. Là pendant 25 ans, il y a eu la guerre avec le roi Lat Dior Diop qui ne voulait pas entendre parler de ces rails. Il en a payé le prix. Il y eu les tirailleurs sénégalais aussi.

Je cite dans le titre Y’a bon Diop ce tirailleur Djibril Diop Mambety [l’homonyme du frère cinéaste de Wasis Diop], notre soldat inconnu qui s’est retrouvé sur les boîtes de cacao et qui sourie de toutes ses dents. Il est en extase et malgré tout ce qu’on peut en penser, il a l’air très heureux.« En Afrique on a un problème avec la douleur narcissique de nos intellectuels. »

Marianne : Cette image n’est donc pas dégradante à vos yeux, comme le pensent de nombreux activistes antiracistes ou intellectuels qui l’ont dénoncée ?

Wasis Diop : Je pense qu’en Afrique on a un problème avec la douleur narcissique de nos intellectuels. Ce problème que pose l’image de Banania ne vient pas du peuple, il vient des intellectuels qui vivent comme une souffrance tout ce qui est de cet ordre-là. L’Africain lambda quand il voit un produit français avec dessus un dessin à son effigie, ça ne lui pose pas de problème. Il ne voit pas de moquerie, mais une caricature drôle et une promotion ! Quand on devient un intellectuel, on perd de son africanité, cette beauté et ce grand cœur ouvert sur le monde.

Marianne : Vous rendez un hommage magnifique à Jean Rouch avec le titre Sigui en samplant sa voix qui n’est que scansion. Vous ne faites donc pas partie de ces détracteurs qui le critiquent et lui reprochent d’avoir imposé une manière tout occidentale de filmer l’Afrique ?

Wasis Diop : Je le considère comme un de mes anciens. Il m’a toujours renvoyé à moi-même, à ma propre culture. Il est dans la réalité de l’environnement africain, de l’Africain animiste, émerveillé par un monde moderne et dans le désir de cette modernité. Pour moi, c’est Jean Rouch qui fait du cinéma africain ! Certains cinéastes africains – je mets mon frère en dehors – ne l’aiment pas car ils pensent que Jean Rouch les rabaisse mais,ce sont eux du coup qui font du cinéma occidental ! En réalité, Jean Rouch a inventé la Nouvelle Vague, Godard en a profité et l’a appliquée. Et cette invention vient de son observation de l’Afrique. Dans ses films de fiction, il n’y avait pas de scénario. Il prenait un personnage qui devait jouer son propre rôle, construire son dialogue. Chaque jour il s’inventait quelque chose, c’était ça le film.

En wolof, Sigui signifie « lever la tête vers le ciel », on a repris le mot dogon. J’ai posé sur la voix de Jean Rouch une musique contemporaine, sobre, un peu afro-caribéenne, avec ce côté tcha-tcha.

Et je chante « Sigui ! Sigui ! » : on ne fera que regarder le ciel. Une sorte de mantra. J’ai essayé de le sublimer.

Marianne : Un autre hommage est rendu avec La Rose Noire au percussionniste sénégalais Doudou Ndiaye Rose et à ce défilé où il paradait pour le défilé du bicentenaire de la Révolution conçu par Jean-Paul Goude en 1989. Êtes-vous nostalgique de ces années 80, grande époque de la world musique, où Noirs et Blancs n’étaient pas confrontés à des combats identitaires ?

Wasis Diop : J’étais là quand Doudou est passé sur son char, je le connaissais, il avait tapé le tam-tam pour notre propre mère. Avec sa queue-de-pie sur son tambour et ses Rosettes derrière, c’était surréaliste, extraordinaire. C’était des années magnifiques, de mélange, de reconnaissance, des années où le flux venu d’ailleurs comptait.

À cette époque, les gens couraient après les sorties de disques, les sons du monde. C’était chaleureux. Aujourd’hui, certains commencent à me fatiguer. S’ils ne comprennent pas comment nous avons organisé, en 1966, le Festival des arts nègres pour laver ce malentendu du mot « nègre », ils n’ont rien compris.

J’ai voulu exhumer les malentendus dans cet album. Je reviens aux tirailleurs. Je défends cette génération romantique, des romantiques qui ont été piégés certes. Mais c’était des gens formidables, si vivants, des poètes aussi. Ils étaient beaux, aimés, ils adoraient les femmes françaises. Je retiens les choses merveilleuses de l’histoire.

Propos recueillis par Sono Mondiale Frédérique Briard

Article original publié par Marianne

 

 

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