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Touareg du Niger, rencontres au fil du temps
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Arts et Culture nomades

Le Peuple touareg lutte pour préserver son identité et sa culture.

Poètes, musiciens, artistes touarag témoignent des combats de ce Peuple du désert, marginalisé et méconnu.

Au fil du temps...
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27 août 2017

Slam et Humour au Niger

 

La  parenté à plaisanterie   

Rencontre avec Jhonel

jhonel_et_jeanlLuc_bernard_musicien_nigerien

Jhonel et Jean-Luc Bernard

De la tradition des griots à l’éveil nigérien du Slam

En décembre dernier, le poète-slameur nigérien Jhonel était de passage en France pour quelques représentations scéniques. Populaire dans son pays, plus confidentiellement connu ici, Jhonel s’est impliqué depuis ses débuts en 2005 pour placer son art sous le signe de l’engagement social pour le développement humain et culturel, dans un pays figurant au rang des plus pauvres à l’échelle mondiale. Fort d’une renommée grandissante grâce aux titres de son premier album « Assalam Aleykoum » sorti en 2008, il a fondé en 2012 le festival de Slam et Humour « Fish Goni » à Niamey, devenu un événement prééminent de la scène artistique nigérienne.

C’est accompagné du batteur et percussionniste Jean-Luc Bernard, lequel a notamment collaboré avec Marc Perrone, Allain Leprest, Fellag, Hubert Petit-Phar, Paco El Lobo, Bruno de La Salle, Josiane Rivoire, et Isabelle Mayereau, qu’il créé désormais des compositions originales autour de ses textes, dont un recueil, « Niamey, cour commune », vient d’être édité (édition L’Harmattan), et se produit tant sur des scènes internationales que dans des petits villages sans infrastructure.


En compagnie de l’artiste photographe Mélanie Gribinski, qui nous avait accordé un entretien en octobre 2014 pour parler de son livre « La double vie des Capus »  et entame avec le slameur plusieurs projets, Jhonel acceptait de nous rencontrer à l’occasion de son passage à Bordeaux. 

- Jhonel, bonjour et merci d’accepter cet entretien. Tu viens de faire quelques concerts en France. Quel public est venu te voir ?

- Aux quelques prestations que nous avons faites, je n’ai pas retrouvé de ressortissants nigériens. Les gens qui sont venus nous voir ont été contactés par Jean-Luc essentiellement, et par l’éditeur de mon livre qui a envoyé quelques invitations. Je suis venu ici de ma propre initiative, donc juste pour quelques jours, le temps de faire quelques rencontres et de nouer des contacts. Comme je travaille avec l’ambassade de France et son attaché culturel au Niger depuis trois ans, notamment pour mon festival, on m’a octroyé un visa d’un an pour pouvoir sortir du pays. Grâce à cela j’ai pu rencontrer plusieurs slameurs et envisager des projets pour les mois de février et mars, en France, Belgique et Allemagne. Il y a aussi le slameur Maras, qui organise des scènes et championnats de Slam dans plusieurs pays en Europe et au Togo, qui va venir cette année participer à mon festival, tout comme un jeune slameur de Poitiers. Et puis j’ai pu travailler sur notre projet commun à moi et Mélanie Gribinski, et organiser la tournée de 2016 avec Jean-Luc.  

Pour ce qui est du public français, je n’ai pas eu l’occasion de voir un public très large, mais ici, le public écoute vraiment et attend la fin pour applaudir. Alors que dans mon pays, le public m’accompagne et souvent termine les phrases que je commence. C’est aussi un jeu, car dans mes compositions, il y a des jeux de mot, et donc quand je commence une phrase, le public sait ce que je vais dire à la fin et le chante à ma place ; c’est une sorte d’échange.

- Comment es-tu venu à la musique ?

- Je pense qu’il est important de dire que ce n’est pas moi suis allé vers la musique, mais la musique qui est venue à moi. La musique n’était pas la bienvenue dans ma famille : je suis d’une famille musulmane et mon père était imam. Mais nous avions chez nous des griots. Les griots annoncent les mariages et les baptêmes ; ils sont comme des crieurs publics. Dans chaque famille, il y a des griots. Et ils passent dans nos maisons pour annoncer les mariages ou évènements, ou même juste quand ils ont besoin de quelque chose, pour dire des louanges de nos parents et obtenir en échange un sac de mil, de riz ou de maïs. C’est comme ça que j’ai commencé, en voyant les griots et en essayant de faire comme eux pour raconter des choses. Mes parents n’approuvaient pas cela ; mais ça me plaisait vraiment. Et puis il y a eu ce que j’appelle l’amour collectif pour les mots, qu’on pratiquait avec des amis d’enfance : il s’agissait pour nous de nous retrouver dans la rue pour essayer de raconter ce que nous vivions chez nous, nos réalités. Cependant mes amis s’inscrivaient plus dans le mouvement Rap, alors que pour ma part j’essayais de dire à la manière des griots. J’ai finalement dû quitter ma famille et changer de pays, passer par le Mali, la Guinée Conakry, le Burkina Faso pour venir au Niger. Il faut expliquer que mes parents sont des commerçants, et donc qu’ils se déplacent d’un pays à l’autre pour trouver les moyens de travailler et vivre. Chez nous, après la saison des pluies, on ne peut plus travailler la terre ; il faut donc aller dans des pays voisins pour vivre d’autre chose. Mes parents se sont retrouvés en Côte d’Ivoire, et se contentaient du fait que je sois au Niger, car c’était pour eux le moyen de ne pas avoir à supporter un enfant qui s’attachait à l’art et à la culture. Au Niger, j’ai participé au groupe de Rap Flèche Noire à Niamey. Et puis un jour, en présentant un de mes textes, on m’a dit que ce que je faisais était du Slam. Je ne savais pas que ça s’appelait ainsi : il aura fallu l’intervention d’un Français pour que je prenne conscience que je faisais du Slam et que j’épouse cette discipline.

- Dans quelles langues chantes-tu ?

- Aujourd’hui, j’utilise essentiellement le Français, le Zarma, le Dioula, le Bambara et le Haoussa. Et ceci pour une raison très simple : les habitants du Niger sont à 72% analphabètes et il est difficile de passer un message entièrement en langue française à tout le monde ; je compose donc en plusieurs langues pour toucher tous les Nigériens, et aussi plus loin, les populations du Burkina, du Mali et de la Côte d’Ivoire où sont parlés le Bambara et le Dioula. Je créé souvent des chansons où j’emploie 3 ou 4 langues, le but étant de toucher un maximum de gens.

- Quels sont les messages justement que tu tentes de faire passer avec ta musique ?

- Ce sont des messages engagés socialement ; j’essaye surtout de parler de sujets comme la femme et la place de la femme. J’ai grandi dans une cour commune, et, dans une cour commune, il y a plusieurs familles, qui sont souvent les familles de plusieurs femmes du même mari, chacune élevant ses enfants et petits enfants dans sa propre maison. Dans la cour où j’ai grandi, il y avait les sept femmes de mon grand-père et leur famille respective, et l’injustice qui régnait entre ces femmes m’a beaucoup marqué. C’est ce qui me pousse à parler des femmes et aussi des conditions de vie des enfants, et de la nécessité de scolarisation et d’éducation.

Mes textes parlent de nos sociétés et de la place de chacun dans la société. Il faut savoir qu’il y a chez nous un culte du fatalisme: beaucoup de gens attendent que tout tombe du ciel. De ce fait ils ne bougent pas et acceptent les états de fait. Et quand on ose dire aux gens qu’il faut bouger pour changer les choses, ils nous regardent comme des personnes qui s’opposent à leur croyance. Alors que ce n’est pas forcément de la mécréance ; c’est juste qu’il faut aussi bouger pour faire avancer les choses. Chez nous on vit avec l’espoir, mais on ne va pas vers l’espoir. Pour prendre une image, c’est comme si l’espoir était à 100 mètres devant nous et qu’on parle de lui et vit avec, mais sans aller vers lui. L’espoir est dans les discours ; mais cela ne sert à rien si on reste sur place à l’attendre. Mes textes incitent à se poser la question de savoir si on doit attendre ou avancer. J’essaye donc d’amener les uns et les autres vers des questionnements ; c’est ça qui est important pour moi. Il me semble plus intelligent de faire appel à l’initiative individuelle que d’imposer une vision, fusse-t-elle contestataire.

Un combat qui me tient particulièrement à cœur est la lutte contre la malnutrition. Au Niger, 12% des enfants sont touchés par la malnutrition aigüe, c’est-à-dire dans la petite enfance. On dit que le seuil est critique à partir de 10% ; c’est dire s’il y a beaucoup à faire dans le pays. Il y a des ONG, mais les ONG ont des plans de travail qui souvent sont élaborés pour un autre pays et ne peuvent pas être adaptés au cadre nigérien. Il faut trouver d’autres manières pour sensibiliser les gens que celles qu’elles emploient et qui sont inefficaces. Il serait intéressant un jour de se poser la question de savoir comment investir réellement le fond d’aide au développement dans des pays en voie de développement, car pour le moment on donne cet argent aux ONG pour qu’elles émettent des rapports sur la situation dans les pays, et ça ne sert pas vraiment les populations. L’aberration va jusqu’au montant parfois exorbitant des salaires que s’octroient certains membres d’ONG, qui vivent avec 400 ou 500 dollars par jour quand le salaire moyen d’un Nigérien n’excède pas 30 euros par mois. Quant au gouvernement, il peut dépenser énormément d’argent pour faire construire des routes pour le commerce ou obtenir un contrat avec Areva, alors qu’il n’existe aucune infrastructure sanitaire, aucun système de déchetterie.

La situation politique au Niger est très tendue en ce moment. Le principal danger aujourd’hui, qui n’est hélas pas considéré à sa mesure, est que de plus en plus de jeunes se laissent aller à un mouvement politique qui risque de nous amener à la division. Les gens ne s’en rendent pas compte. Mais rien que sur les réseaux sociaux, on peut voir comment les jeunes sont engagés dans ce mouvement dont ils ne sont que des pions. Les politiciens n’ont rien à faire du peuple : depuis 50 ans, ce sont toujours les mêmes personnes et les mêmes têtes qui dirigent, et le pays est encore aujourd’hui dernier à l’indice du développement humain dans le monde. La seule raison que les gens sont capables d’invoquer à leur engagement est que tel ou tel homme politique est de sa famille, de son village, ou de sa communauté ; il n’y a pas de réelle réflexion. L’histoire se répète finalement toujours. Les élections présidentielles auront lieu très bientôt, en février, et à l’heure actuelle, le président n’hésite pas à emprisonner les opposants politiques qu’il voit comme ses ennemis. Tout se passe entre deux hommes : le président et le dirigeant du parti d’opposition. Et les Nigériens se sentent obligés de s’engager dans un clan ou l’autre, tout cela sur fond de question ethnique, dans un pays qui compte 7 ethnies différentes. Les politiciens véhiculent des messages qui risquent de nous amener dans une guerre entre ethnies, et parce qu’on n’en est pas conscient, on se laisse embobiner. On n’a pas besoin de ça. J’ai de grandes inquiétudes pour demain. On a eu par le passé la chance d’avoir des hommes politiques qui ont travaillé à forger la cohésion sociale ; mais nous sommes en train d’oublier ce qu’ils ont construit.


– En tant que chanteur engagé, as-t eu des soucis avec le pouvoir en place ?

– Non, pas pour l’instant. C’est peut-être parce que je reste franc dans ce que je dis et que je ne prends pas parti, car je n’ai pas de parti. Ce qui m’intéresse, c’est la cohésion sociale. Et puis le pouvoir en place n’est pas vraiment inquiété par les artistes ; il ne craint pas que l’art engagé puisse réveiller la population. Donc l’expression artistique ne le dérange pas encore ; il pense que les artistes s’amusent et que c’est sans conséquences. Quand je croise des policiers dans mon pays, ils m’arrêtent pour me demander quand je vais sortir un disque. Il faut dire que bon nombre de policiers le sont devenus par défaut, pour avoir un emploi stable et un minimum de confort matériel, et non par conviction ou soutien à un camp politique. En fait je suis reconnu, mais comme les dirigeants ne viennent pas voir mes spectacles et ne s’intéressent pas à mes textes, ils n’y voient aucune menace. Par le passé, j’ai été invité par des responsables politiques pour chanter ; mais il s’agissait de responsables de l’opposition, qui ont tous démissionné depuis, voire pour certains se sont retrouvés emprisonnés.

– Peux-tu nous parler du festival de Slam « Fish Goni » que tu as fondé ?

– C’est un festival de Slam et Humour, avec des colloques. On invite des enseignants et des chercheurs à venir parler de thèmes qu’on a choisit d’aborder durant les 7 jours que dure le festival, à donner des conférences dans des universités, des écoles publiques et privées, et à faire des interventions sur des radios communautaires. On y débat de beaucoup de questions. Par exemple depuis deux ans, nous travaillons sur le thème de la société et du développement. Il est important de savoir ce qu’est le développement pour le Nigérien et s’il est prêt à embrasser le type de développement occidental ou s’il préfère s’attacher à ses coutumes, ses habitudes pour aller vers son propre développement, et s’il doit pour ce faire rompre avec certaines traditions. Ces questions sont importantes pour moi ; et vu que je n’arrive pas à trouver les réponses moi-même, je me suis dis qu’il serait intéressant de travailler sur ces sujets pendant trois ans avec d’autres et voir si vraiment on a des réponses à apporter, et si les débats et rencontres changent quelque chose. Le festival propose aussi des concerts de Slam et des spectacles d’humour, car l’humour et une valeur dans nos sociétés. On appelle ça la « parenté à plaisanterie ». C’est une pratique sociale qui s’exerce entre personnes ou groupes familiaux ou ethniques, dans la convivialité, et qui permet aux gens de se reconnaitre en tant que « cousin à plaisanterie ». C’est grâce à ça qu’on a la paix et la tranquillité, parce que lorsque l’autre te provoque, s’il ne t’est pas apparenté, tu peux te dire « c’est un Peul ou un Touareg, donc je n’ai pas à lui répondre », ce qui implique que s’il te fait quelque chose de mal, tu peux lui pardonner parce qu’il est de telle ou telle ethnie. Quel que soit ce que la personne peut faire de grave, tu peux lui pardonner, juste en vertu de ce principe. Cela évite beaucoup de conflit. Ce sont nos ainés qui ont construit et instauré cela, et j’ai pensé que pour imposer le message du Slam, il fallait peut-être passer par la « parenté à plaisanterie », par le rire.

Le festival a lieu tous les ans depuis 4 ans, la première semaine d’octobre. Un grand monde y participe, tant au niveau des intervenants que du public. Pour ce qui concerne les artistes, nous faisons des appels à candidature en amont du festival, et si des artistes en particulier nous intéressent, nous les contactons et décidons avec l’équipe qui on va inviter. Chaque année, nous invitons des artistes de partout.

– Un mot de ton complice… Jean-Luc Bernard est un musicien expérimenté, créateur et improvisateur, qui au cours de sa carrière a participé à de belles et prestigieuses collaborations. Comment l’as-tu rencontré ?

– Je l’ai rencontré en 2012 à Niamey. Il jouait sur un festival, et j’étais dans le public. J’ai trouvé ça vraiment intéressant, et après, le directeur nous a présentés. Je lui ai proposé une collaboration, mais il partait le lendemain. Je lui ai laissé quelques enregistrements avec mes coordonnées, et ça lui a plu. Il m’a appelé quelques jours après pour me proposer de nous rencontrer à nouveau l’année suivante, car il revenait à Niamey pour un festival. Finalement le festival en question a manqué de fonds et n’a pas pu trouver le budget pour le faire venir.

Mais de mon côté, j’organisais mon propre festival, et un partenariat avec Air France m’a permis de l’inviter à Niamey quand même pour travailler une dizaine de jours ensemble. Nous avons trouvé ça très intéressant, et décidé de faire une résidence au Pôle Sup Musique ; le CCFN nous a aidés par une subvention. Après un mois de travail, nous avons présenté quelques titres au Bar de la Marine, puis nous avons été à Bruxelles pour jouer dans un festival. Depuis nous avons continué la route ensemble. On a enregistré 5-6 titres ensemble, qu’on a présenté à la Maison de l’Afrique, où nous avions invité quelques personnes, dont des organisateurs de spectacle et des amis de Jean-Luc. C’est grâce aussi à lui que j’ai rencontré Mélanie Gribinski, qui nous a suivis pour réaliser des photographies.

– Intervention de Mélanie Gribinski :

- Au départ Jean-Luc m’avait contactée en me disant que lui et Jhonel n’avaient pas de visuels pour faire la communication autour de leur duo et que la venue de Jhonel à Bordeaux pourrait être l’occasion de faire quelques photos. Il m’a montré un petit film d’une première représentation de leur spectacle au Centre Culturel Franco-Nigérien, puis nous avons fait connaissance, Jhonel et moi, en août 2014. La rencontre a été décisive : nous avons tous les deux plusieurs projets en cours au Niger.

Miren Funk  Article original publié dans la revue  Le Doigt dans l’OEIL

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Commentaires
I
Bonne initiative.J'aimerai bien prendre contact pour quelques projets allant dans ce sens.
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