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Touareg du Niger, rencontres au fil du temps
Touareg du Niger, rencontres au fil du temps
Touareg du Niger, rencontres au fil du temps

Arts et Culture nomades

Le Peuple touareg lutte pour préserver son identité et sa culture.

Poètes, musiciens, artistes touarag témoignent des combats de ce Peuple du désert, marginalisé et méconnu.

Au fil du temps...
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1 janvier 2016

Sortis de l’oubli, les Touaregs souffrent de l’histoire

 

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Un peuple du désert  saisi par les États

De temps à autre, un bref communiqué indique que, quelque part au sud du Maghreb, un accrochage a opposé un groupe de Touaregs à une unité militaire. Le 25 juillet, Amnesty International accusait l’armée malienne d’avoir tué en deux mois plus de cinquante personnes (en raison de leur origine ethnique). Un peuple affronte brutalement l’histoire contemporaine : celle d’Etats eux-mêmes brinqueballants. Au nomadisme de la tradition a succédé l’errance spirituelle.

Un losange difforme, une terre brûlée, du sable à perte de vue, nous sommes dans le pays touareg. Celui-ci s’étend sur quelque 2 500 000 kilomètres carrés - l’équivalent de l’Europe occidentale - aux confins de cinq pays : Niger, Mali , Burkina, Algérie et Libye. Cet immense territoire de sables et de rocaille calcinée est vide, ou peu s’en faut. Combien sont-"ils" ? La question est sur toutes les lèvres. « Ils », ce sont les Touaregs (de l’arabe tawarîq , les « sans-chemins »  dont le nombre varie entre 1 million et 1 million et demi selon les estimations. La moitié d’entre eux - environ 600 000 - seraient installés au Niger ; entre 300 000 et 400 000 se trouveraient au Mali, le reste se répartissant entre la Libye (50 000), le Burkina (30 000) et l’Algérie (20 000). Encore ces chiffres ne comprennent-ils pas les Touaregs qui ont été amenés à quitter la région au début des années 60 pour s’établir dans les pays voisins, notamment dans le Darfour (à la frontière tchado-soudanaise) et en Mauritanie. De surcroît, on ignore le nombre exact de ceux qui ont « émigré » à l’intérieur de leur espace traditionnel pour s’enrôler dans l’armée libyenne ou gagner le Sahara occidental (Front Polisario).

L’histoire du peuplement touareg dans cette région remonte à l’Antiquité. Déjà Hérodote les citait dans son Enquête , même si - comme il est probable - cette information relève du ouï-dire. Les Touaregs sont également mentionnés par les géographes arabes (Ibn Battouta, mais surtout El-Bekri) qui, au Moyen Age, sillonnèrent toute cette région. Le grand sociologue maghrébin Ibn Khaldoun évoque les hommes au lithâm : Al-Moûlathimine(les porteurs de voile bleu) et les situe sur un territoire qui va de l’océan Atlantique jusqu’aux abords du Nil.

A gros traits, on distingue trois périodes historiques : la première va des prémices de la migration humaine jusqu’au dix-neuvième siècle (les Touaregs auraient quelque parenté avec des populations venues de l’Est africain, ou peut-être même du Proche-Orient antique). La deuxième période commence dès la fin du dix-neuvième siècle, lorsque l’Europe, par l’entremise de ses voyageurs, découvrit les « hommes bleus », qu’elle hissa aussitôt au rang de Seigneurs du désert . Enfin, une troisième période a débuté avec les indépendances au début des années 60.

En fait, c’est avec la colonisation que les Touaregs ont vu leur sort se transformer dès le début du siècle. Aux premiers conflits sérieux avec l’armée française  succéda une longue période de compromis où l’avant-poste militaire n’avait rien d’autre à faire que surveiller les migrations saisonnières et prélever la dîme. Depuis quelques décennies, la situation - sans se gâter sensiblement - tendait à se crisper. Les sécheresses successives des années 1970 à 1975 accélérèrent la morosité qui commençait à gangrener toute leur économie. Les frontières entre les cinq États fraîchement reconnus par les Nations unies ont piégé les populations nomades, condamnées à errer dans des espaces mutilés et obligées de se choisir une nationalité à décliner auprès des autorités.

En 1990, alors que, apparemment, leur société continuait à s’enfoncer dans l’oubli, les Kel Aïr et les Kel Adrar allaient soudainement faire parler d’eux. A Tchin-Tabaraden ( «vallée des belles jeunes filles» ), à 300 kilomètres au sud de l’Algérie, dans le nord du Niger, à 100 kilomètres à l’est du Mali, dans la nuit du 6 au 7 mai 1990, un groupe de jeunes Touaregs (entre douze et quinze au total) occupe la gendarmerie pour protester contre l’internement abusif de certains de leurs pairs et pour exprimer leur ressentiment et leur grande frustration : l’aide humanitaire extérieure est pillée et détournée par les autorités locales. Le groupe des assaillants est armé de takoubas , épées traditionnelles utilisées dans les cérémonies de prestige. A la suite d’une vive altercation, deux gendarmes sont tués, un troisième séquestré. Une action d’envergure visant à rétablir l’ordre est décidée à Tahoua, le chef-lieu de préfecture, au coeur du Niger, avec l’accord formel des autorités de Niamey. Des forces imposantes - plusieurs unités d’élite, dont des parachutistes convoyés par avion, arrivent sur les lieux.

Tous les témoignages concordent : les militaires se sont comportés comme en pays conquis, infligeant un violent traumatisme aux gens de la communauté. Ainsi, on découvrit le visage des hommes devant les femmes du campement (ce qui constitue une offense), les femmes furent elles aussi humiliées (des viols auraient été commis) et des biens furent dérobés. Simple goût de vengeance, apparemment, puisque les vrais responsables de la contestation s’étaient déjà évaporés dans les montagnes de l’Aïr en emportant un stock d’armes et des munitions prélevées sur les réserves de la gendarmerie.

D’autres incidents avaient précédé la répression, qui fit plusieurs centaines de victimes. Alors, les familles quittent la région pour gagner le Mali. Mais ce pays, solidaire de son voisin, tente de les en empêcher. Certains se laissent prendre. Émus par leur situation et par les menaces d’extradition, un groupe d’une soixantaine de Touaregs maliens, sous la conduite de leur jeune chef de guerre de vingt-huit ans (au moment des faits), Iyad Ag Ghali, lance, dans la nuit du 28 au 29 juin 1990, un raid sur la prison de Ménaka, qui fait plusieurs victimes dans les rangs maliens. Dans leur progression, les « rebelles » touaregs détournent quatre camions de World Vision, une organisation non gouvernementale américaine, qui traversent le pays à ce moment-là, s’assurant ainsi une grande publicité.

Cette première bataille sérieuse allait entraîner d’autres accrochages de moindre importance. Les convois militaires ne pouvaient plus se déplacer sur les pistes du nord du Mali sans bénéficier d’une forte escorte de surveillance. La tension montera d’un cran lorsque le Mali refusera d’admettre l’existence d’un problème touareg dans les VIe et VIIe régions militaires, épousant en cela la thèse déjà soutenue par le Niger.

L’Algérie, en revanche, soucieuse d’assurer sa sécurité, décide d’accélérer les pourparlers. Plusieurs rencontres auront lieu sans succès, jusqu’à celle du 6 janvier 1991, qui réunira le chef d’état-major de l’armée malienne, les gouverneurs de Gao et de Tombouctou, l’ambassadeur du Mali en Algérie, M. Sinally Koulibali, sous le patronage du ministre de l’intérieur algérien, M. Mohamed Salah Mohammedi. M. Iyad Ag Ghali est le seul représentant du Mouvement populaire de libération de l’Azawag. Le sommet, dénommé « Tamanrasset III », devait déboucher sur une déclaration ferme qui préconise une démilitarisation à terme de l’Adrar des Iforas, l’élection d’une assemblée territoriale et la garantie des autorités maliennes d’investir très rapidement l’équivalent de 4 % du budget national au profit des Touaregs.

Depuis lors, les problèmes sont restés en suspens. La démilitarisation prévue des régions du nord du Mali n’a pas eu lieu, et la chute du président Traoré a créé un certain trouble, même si le nouveau pouvoir affirme vouloir respecter les accords de Tamanrasset. De violents incidents à la mi-juin 1991, au cours desquels une trentaine de Touaregs ont été tués, ont fait monter la tension. De plus, une opposition à l’intérieur du Mouvement populaire de libération de l’Azawag, suscitée par les éléments maures et de tendance islamique, illustre les difficultés à définir des objectifs politiques - le congrès de l’organisation, prévu pour la fin mai, a été finalement reporté.

Encore faudrait-il s’entendre sur le statut qui doit être reconnu à cette vaste communauté. Est-ce un peuple, une nation ou une simple minorité ? Aucune terminologie existante ne peut traduire exactement l’identité des Touaregs. On dit qu’ils sont nomades, pasteurs, semi-pasteurs ou nomades-pasteurs : autant d’appellations qui rendent partiellement compte du fait touareg, en mettant en évidence leur mode d’existence sans l’appréhender dans sa totalité.

Il est incontestable toutefois que, du point de vue culturel, les Touaregs constituent bien un peuple. Leur passé est l’un des plus anciens de la région ; leurs coutumes sont parfaitement enracinées et leurs usages, dans la continuité symbolique qui est la leur, ne manquent pas d’une certaine élévation. Enfin, ils ont en commun une langue, le tamacheq - dite également tamahaq ou tamajaq, - une écriture, le tifinagh (même si son usage est désormais caduc) et des souches patronymiques et anthropologiques identiques. 

Tous les témoignages enregistrés par les observateurs, toutes les narrations touarègues et la poésie, qu’elle soit moderne ( Hawad ) ou ancienne (lire l’encadré Regards sur une culture), disent à l’envi combien l’être touareg est divisé, traumatisé, meurtri. Les travaux scientifiques  corroborent amplement l’existence de ces sentiments de décalage et d’apathie, créés par les bouleversements des indépendances. Outre l’encerclement auquel, peu ou prou, était soumise la nation touarègue et qui brisa à jamais son goût pour la transhumance, plusieurs vagues de sécheresse ont accentué le malaise.

Aussi, de psychologique qu’elle était au début, la douleur a désormais migré vers l’économique et le politique. Alors que, avant l’instauration des frontières, les Touaregs pouvaient encore se percevoir comme une nation disposant de référents suffisamment forts pour assurer sa cohésion, l’apparition des Etats a fait d’eux une nation minoritaire sur le sol même de ses ancêtres, brisée dans ses ressorts par les tentatives de sédentarisation du fait des autorités gouvernementales. Au Niger, certes, la culture touarègue dans son ensemble est relativement acceptée, et le tamacheq a rang de langue nationale (au même titre que le haussa, le songhaï ou le peul). Dans une moindre mesure, le Mali a amorcé une évolution semblable, qui n’a pas encore donné les fruits escomptés. Les autres Etats n’ont pas cru bon de promulguer des lois en faveur des Imoukhars, soit pour protéger leur culture qui va a vau-l’eau, soit pour leur octroyer un minimum d’autonomie sur leur terre tutélaire. Les Touaregs ressentent cette indifférence et se plaignent d’être les mal-aimés des nouveaux systèmes, éprouvant du ressentiment à la fois à l’encontre des Noirs, au sud, et des Arabes, au nord.

Si le nomadisme n’a plus cours, s’il est devenu un mode de vie inadapté, c’est en partie à cause des mesures de contrôle aux frontières et d’encadrement idéologique que les pouvoirs en place ont unilatéralement décidées, sans donner aux Touaregs les moyens de disposer d’une réelle représentation politique. L’ardeur du climat dans cette zone aride du Sahel, où le déficit pluviométrique est chronique, offre un argument commode aux Etats pour imposer leurs choix. Aussi, devenues dépendantes, vivant dans des univers hostiles, ces populations ont fini par se paupériser. Désormais, la société touarègue mesure jour après jour combien elle est marginalisée, tenue à l’écart des efforts de développement régional, mal informée, peu représentée au niveau des instances dirigeantes et maintenue dans ses oripeaux du passé.

Lieux d’exil et d’enfermement

S’inspirant des méthodes coloniales, les régimes en place tentent aussi d’isoler les Touaregs du reste de la communauté nationale selon un procédé assez courant voulant que la capitale, et elle seule, règle les plus infimes problèmes.

En Algérie, les wilayas (départements) du Sud apparaissent pour beaucoup comme des lieux d’exil, mis à part pour les ingénieurs, géologues et autres techniciens du forage pétrolier, qui perçoivent d’intéressantes prestations que seules les compagnies nationales d’hydrocarbures, des mines et des transports routiers peuvent offrir. Les autres, fonctionnaires de l’administration ou militaires, ressentent comme une brimade leur mutation aux confins du Mali ou du Niger. Ou alors, comme dans le cas de cet instituteur de Tamanrasset venu de Tipaza, à quelque 2 000 km au nord, il faut se reconnaître une âme de ;coopérant», de « Nordiste », et avoir bien réfléchi avant d’accepter le poste offert. Pour l’y inciter, l’éducation nationale, dit-il, lui a décrit la réalité sous son meilleur jour : mensualités gonflées, facilités de logement (un problème aigu dans le Nord) et primes de déplacement. Le ton désabusé, l’instituteur algérien ajoute, sans mesurer pleinement son cynisme : «C’est comme si j’allais vers le Far West. Les Touaregs sont nos Indiens à nous.»

Cette réputation de lieu d’isolement, d’enfermement, le Sud algérien la doit aussi à la présence obstinée des anciens forts de l’armée française, des casernes, des camps d’entraînement et parfois même de simples guitounes plantées dans le creux de la dune. Ces équipements ont d’ailleurs été utilisés par les autorités algériennes elles-mêmes, après l’indépendance, pour priver de leur liberté les personnalités politiques ou les étudiants qui refusaient l’embrigadement ou le silence. A défaut de moyens de communication, ce désert, Bled al-’atach ( «pays de la soif ») - anhydros , lit-on dans l’Ancien Testament, - fait aujourd’hui encore figure de camp d’internement pour les Touaregs. La vétusté des routes - il fut un temps où la Transsaharienne était une priorité gouvernementale - n’est pas compensée par les quelques liaisons aériennes assurées par la compagnie nationale. Mais l’isolement est encore plus flagrant dans le domaine culturel. Les radios ne sont pas captées, hormis celle du colonel Kadhafi qui, un moment, émettait directement en tamacheq à partir de la frontière algéro-libyenne, et la réception de la télévision nécessite l’installation d’une importante antenne-relais. Quant aux cinémas, bibliothèques et centres culturels, ils font totalement défaut.

Dans ces conditions, peut-il y avoir un jour une prise de conscience touarègue qui ferait passer ce peuple du stade de la réaction émotionnelle, du simple prurit saisonnier, à celui de l’organisation politique ? Publié par Monde Diplomatique

Auteur : Malek Chebel  Observateur du monde arabe et de la méditerranée (OMAM), Paris.

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Commentaires
J
Extrêmement intéressant. Bravo
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