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Touareg du Niger, rencontres au fil du temps
Touareg du Niger, rencontres au fil du temps
Touareg du Niger, rencontres au fil du temps

Arts et Culture nomades

Le Peuple touareg lutte pour préserver son identité et sa culture.

Poètes, musiciens, artistes touarag témoignent des combats de ce Peuple du désert, marginalisé et méconnu.

Au fil du temps...
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12 mars 2012

Culture touarègue et rébellion

 

Source : 

«Les rébellions touarègues du Niger :
combattants, mobilisations et culture politique »

Frédéric DEYCARD  Le 12 janvier 2011

koudede_musicien_touareg

Entretiens avec Koudédé, menés à Niamey et à Agadez, et complétés par des nombreux échanges en France entre 2006 et 2009. Toutes les citations de ce paragraphe sont issues de ces entretiens. Koudédé, comme nombre de musiciens touaregs, tente de vivre de sa musique. Il a produit un disque avec un label français, et tourne régulièrement en concerts et festivals en Europe. Le produit des ventes reste cependant assez marginal. Koudédé, lorsque je l’ai rencontré dans le cadre de ces entretiens, vivait dans un cinéma désaffecté de Niamey.

Ce témoignage illustre le passage d’une pratique marginale, explicitement inspirée des années d’exil et de chômage et portée par une volonté de modernité en rupture avec les pratiques culturelles plus traditionnelles, vers un mouvement qui véhicule de manière quasiment hégémonique la culture touarègue. Cette culture se confond avec celle de la rébellion.

Koudédé est un musicien Touareg dont l’histoire personnelle recoupe celle de la rébellion. Ishumar en Algérie et en Libye au milieu des années 1980, Koudédé a appris la guitare avec d’autres musiciens engagés dans les camps militaires libyens. Il joue dans le style moderne élaboré dans le groupe des Ishumars, appelé Al Guitara (parce qu’il s’accompagne de la guitare, acoustique puis électrique). Il a rejoint la rébellion en 1991, suivant la vague des nouveaux arrivants après la Conférence Nationale.

Son parcours rejoint celui de nombre d’Ishumars : il effectue de nombreux voyages entre l’Algérie et la Libye au gré des possibilités d’emplois et des rencontres :

Témoignage de Koudédé

« Avant la rébellion ? Je me cherche. Je cherche du boulot. Je vais en Algérie, en Libye, je cherche du boulot. J’étais là, jusqu’à ce que le problème   était réglé… Il y a des frères qui envoient des messages : il faut sortir de Libye pour faire la rébellion.

En Algérie, j’ai fait 3 mois, en Libye, j’ai fait 5 ans.

J’ai travaillé, mais après j’ai quitté, parce que j’aime l’Algérie et je voudrais acheter des guitares, des trucs… Donc dès que j’ai eu de l’argent, un  peu, j’ai eu une guitare, et directement je suis revenu en Algérie ».

Koudédé se construit des références politiques qui s’appuient fortement sur l’identité mise en jeu par les Touaregs exilés en Algérie. Il les complète de valeurs incarnées par la rébellion au Niger. Cette référence ancienne, ancrée dans son propre parcours, explique sans doute la pérennité de son engagement.

« C’est quoi le message qu’on a trouvé ? La première des choses, on n’a pas d’école, d’éducation. Un des problèmes, le Niger, ils ne savent pas les    problèmes des Touaregs, tu vois ?

A mon arrivée là-bas, en Libye j’ai écouté, parce qu’au début, c’est vrai, au Niger, c’est nous qui sommes arrivés, c’est nous seulement, et après, tous les territoires que les Touaregs c’est ça qui est riche, et on n‘a rien… On n’a pas de pompes, on n’a rien. Au niveau des écoles, au niveau des  hôpitaux… En fait, il y a trop de racisme.

Donc on est obligé de combattre tant qu’on sera réduit à ça. C’est ça le problème touareg.

Il y a comme une association en Libye, Algérie, avec tous les Touaregs. Là, c’est comme une association. Donc c’est ça qui nous touche tous. Celui   qui est en Algérie, en Libye, on trouve tous les messages. C’est comme une association, qui nous permet de communiquer. Donc, là, on a quitté la Libye et on est parti au Niger. »

Koudédé est engagé dans les combats jusqu’en 1997. Il ne se considère pas à proprement parler comme un combattant et préfère son identité de musicien. Il résume son expérience de rebelle en quelques phrases :

« C’est en 86 que je suis rentré en Algérie, Libye. Donc, en 86 même, ça a commencé, on a commencé à parler de ça. Mais c’est pas arrivé. Donc,   quand c’est arrivé, dès qu’on a eu les messages, on est parti. Moi je suis, je crois dans le troisième groupe qui vient (au Niger, NdA).

Là, je suis retourné à la montagne, parce que les autres étaient partis déjà. En Algérie, j’ai trouvé un véhicule pour me déplacer, à Tezerzeit.

Là, il n’y a pas d’armes, trop, on est partagé dans la brousse, jusqu’à ce qu’ils aient eu un peu des moyens. Donc, des armes. Là, on était à  Tezerzeit, on a fait des bases. Là, avant, il y en a qui étaient là. Après, on a tous été groupés, donc après, chacun fait, tu sais, les gens, chacun a fait  son boulot…

Moi, j’étais avec le FLT. J’ai laissé le FLT, je suis allé avec Rhissa. Avec Rhissa, je me suis disputé, parce que je cherche quelque chose qui me plait,    donc là je me suis retrouvé avec El Hadji, celui qui est à Tejeket, je suis resté avec lui jusqu’aux accords. En fait, c’est toujours le front de Rhissa,      mais avec un autre groupe.

Donc là, on a fait les accords, en 97, pour intégrer les combattants. Donc, moi, j’ai dit non, je préfère faire de la musique. Donc là, aux accords, ils    demandent si on veut prendre l’intégration ou pas, et moi je dis non. Je leur demande s’ils peuvent m’aider pour ma musique, m’aider à acheter du    matériel, à aller chanter partout où les Touaregs se trouvent. »

En fait, Koudédé considère que son action dans la rébellion n‘a fait que prolonger ce qu’il avait entrepris dès ses années en Algérie. L’après-guerre ne doit être qu’une continuation du combat commencé avant même son entrée dans la rébellion.

« Je faisais de la musique pendant la rébellion. Même avant. Là où j’ai commencé, c’était avant la rébellion, ça s’appelle Egilma. C’était avant la    rébellion. »

Les chansons s’adressent non seulement aux rebelles, dont elles portent la parole, mais surtout à la population touarègue des campements. Les musiciens jouent un rôle déterminant dans la diffusion du message rebelle :

« Les chansons en fait, elles parlent des problèmes de l’éducation, des problèmes de l’eau, des problèmes d’économie, parce qu’avec nos frères Peuls, là, on est nomades.

Et cette musique, les vieux l’écoutent, oui, parce que ma musique, elle est douce. Donc ça, maintenant, parce qu’il n’y a rien, donc moi je me suis dit, je vais prendre ma musique pour donner un message. Parce que je chante sur nos parents, pour qu’ils laissent nos frères aller à l’école. Parce que nous, on n’a pas été à l’école. Donc je parle de la culture, je parle de garder notre culture.»

Le passage entre la rébellion et l’après conflit se fait naturellement parce que les « vieux » ont pris l’habitude d’entendre le message porté et diffusé par la rébellion durant les années d’affrontement. Pour Koudede, il n’y a pas de différence.

Koudédé est parvenu à produire un disque avec l’aide d’une petite maison de production française. Il a fait des tournées en Europe, d’abord en tant que membre d’un groupe, puis en solo. Comme de nombreux musiciens il suit un circuit de festivals, en particulier en été. Ces tournées lui permettent d’exporter sa musique, même si son message, à son avis, est déformé par les a priori des représentations occidentales. C’est un problème rencontré par nombre de musiciens touaregs :

« ll y a pas mal de groupes de musique touaregs maintenant qui commencent à être connus en Europe et aux Ètats-Unis, et souvent, quand ils vont en tournée, surtout quand c’est aux Ètats-Unis, parce que tu sais, pour les Ètats-Unis, le Niger c’est très, très loin ! En France, on connait un peu les Touaregs, parce qu’il y a eu Mano Dayak, mais pour les Américains, c’est très loin. Mais à chaque fois, quand on présente un groupe, on dit : « Ce sont des anciens rebelles ».

«Toujours.»

Koudédé porte un regard ambigu sur son message : il considère qu’il a une responsabilité importante dans la diffusion de valeurs nouvelles, développées pendant la rébellion. Cependant il refuse de les considérer comme politiques. La place des musiciens est de favoriser l’éducation des populations par un moyen qui touche tout le monde, et de proposer des solutions. Se revendiquer de la rébellion lui aliènerait une partie des populations concernées :

« Pourtant mes chansons elles ne parlent pas de la rébellion. Maintenant non. Vraiment, pour moi, ça part un peu, la rébellion. Moi je dis, la rébellion, elle est finie, maintenant ce qu’on va faire, on va venir montrer, donner l’éducation à notre façon. C’est nous qui allons revenir et qui allons montrer. Parce qu’ils écoutent pas les autres. C’est nous qu’ils vont écouter. On va aider. C’est ça, le problème de l’éducation. Parce que jusqu’à maintenant, tu viens chez nous, je crois tu as vu, il y a des problèmes. C’est un problème d’éducation. Je dis dans les chansons, on va y répondre. Jusqu’à maintenant c’est comme si on est là, mais, après… Parce que chez nous, dès que tu parles trop de la rébellion, il y en a qui partent, qui font des histoires. Donc maintenant, il faut chercher des chansons où tu vas laisser les problèmes. Vraiment, il faut laisser les problèmes. Il faut trouver des solutions.»

Les musiciens ont maintenant la responsabilité de conserver la « culture » touarègue :

« C’est ça, pour moi, la première question à laquelle je veux répondre. Il faut vraiment garder la culture.»

Ayant fait partie des mêmes groupes et apportant le même message, tous les musiciens touaregs (en y incluant les Maliens) doivent s’unir pour améliorer la situation de la « communauté » :

« Les autres musiciens, Abdallah, Hasso, tous, c’est des frères.»

Bien qu’il nie prolonger la rébellion par d’autres moyens, Koudédé admet les liens directs qu’il entretient avec les rebelles :

« Ces gens, ils ont été liés à la rébellion, comme Hasso, c’est le frère de Mohammed Akotey, et lui, Akotey, il est directeur du projet du PNUD pour la réinsertion.

Il y a des contacts importants entre les musiciens et les anciens rebelles, très importants. Parce que nous, les musiciens, c’est nous qui sommes en train de combattre. Parce qu’il faut montrer, il faut parler.»

Ces relations ne se sont pas distendues, au contraire, la musique devenant un enjeu politique important pour les anciens rebelles. La musique touarègue moderne s’est diffusée non seulement en Europe mais aussi au Niger :

« Rhissa, par exemple, quand il était ministre du Tourisme, il a encouragé les musiciens pour faire connaître les Touaregs. Au moins, avec moi, Rhissa il a fait de son mieux. Il a envoyé des groupes. Moi, il ne m’a pas envoyé, mais il encourage les musiciens. Il a envoyé beaucoup de musiciens en Europe, pour ouvrir des salons. Donc, c’est bon. Ici à Niamey, on a trouvé des concerts par le ministère, et on a joué.»

Finalement, Koudeédé explicite la relation organique entre la rébellion et les musiciens :

« Et Anako, lui aussi, il fait de son mieux. En fait, tous les leaders, en fait, on est toujours en contacts. Parce que c’est nous les musiciens qui combattons… Parce que les problèmes d’avant, c‘est nous qui allons les poser. Parce que maintenant, il n’y a pas de rébellion, c’est nous qui sommes là. Ca veut dire que le message, c’est nous qui allons le donner.

Et ce message, il s’adresse à un pays, un peuple. C’est eux qui vont, par la langue, par la culture, c’est eux qui vont évoluer. C’est leur culture.»

Au-delà d’une responsabilité de préservation de la « culture », les musiciens doivent faire passer le message de la modernité, notamment dans les rapports sociaux entre Touaregs, un message né de la rébellion :

« Même chez nous, il y a du racisme. Mais tu sais, tous ceux là, moi je te dis, il faut les regarder comme ça (avec mépris). Ils sont coulés. C’est le manque d’éducation. C’est quoi, qui compte ? C’est dedans, c’est toi, c’est la même chose… C’est un problème d’éducation, du manque d’éducation. Pendant la rébellion quand tout le monde était ensemble, il n’y a pas ça. En fait c’est resté après la rébellion… Revenu en ville, il y a des gens qui ont gardé ça : « Toi tu es noir, toi tu es forgeron… » Mais les autres, ils ont compris. C’est pour ça qu’on dit, nous, on a la même langue. Où est la différence ? Maintenant on est venu en ville. Parce que nos grands-parents, ils ont des problèmes, mais eux-mêmes, c’est un manque d’éducation…

C’est le problème, quand Mano Dayak est mort. Parce qu’avec Mano Dayak, tout le monde est Touareg. Il compte sur ça seulement. Il n’y a pas de Blanc, de Noir… Tu es Touareg, tu parles la langue touarègue. Oui, les problèmes à Agadez, tu vois, même du temps des colons, aujourd’hui c’est l’un, après c’est l’autre, jusqu’à ce qu’on trouve celui qui est resté… Donc, les problèmes de l’Aïr… Mais je vais te dire un truc : ils sont ensemble. Il faut pas voir tout ce qu’ils font, là, les divisions. Ils sont ensemble. Et moi maintenant, je suis leur fils, mais ce que je suis en train de combattre maintenant, c’est pour qu’ils soient dans le même rang. Il faut qu’on parle encore et encore.

Parce que jusqu’à maintenant, il y a des endroits où il n’y a même pas un véhicule qui est passé, ils font 5 ans sans voir un véhicule. Tu vois ? Qui va couvrir les endroits, là ? C’est nous seulement qui savons qu’il y a des gens, là.

Donc il faut amener l’école, il faut amener… Donc c’est ça, tu vois, avec nos parents, le problème, c’est le manque d’éducation. Et c’est parti la rébellion, c’est fini, jusqu’à maintenant on a un accord… Donc qui a le message ? Qui va leur dire maintenant ? C’est les musiciens. On a gardé quoi ? On a pris les armes, maintenant on a la bouche, on a la politique. On est en contact comme ça, les musiciens.»

Même s’il en nie la portée politique, le message identitaire est clair :

« C’est pas de la politique. Nous, on parle que de sauver notre culture, partout.

Il y a aussi beaucoup de Touaregs qui ne sont plus nomades, c’est pour ça que je dis (dans une chanson) : « Il faut pas oublier notre culture, que nos grands parents ont laissée ». Ca, il faut pas le lâcher.

Moi aujourd’hui tu m’as vu comme ça (en habits occidentaux, NdA), demain tu vas me voir comme ça en Touareg. Si je fais une semaine comme ça (jean et tshirt, NdA), une semaine je vais porter ça (un boubou sur un pantalon touareg,

(NdA). C’est seulement hier que j’ai mis ça ! »

Les risques d’acculturation, liée à l’urbanisation des jeunes générations, sont grands. Koudédé y décèle une sorte de honte ou de peur d’être discriminé :

« Mais c’est vrai ce que tu m’as dit, j’ai vu des Touaregs, ici, maintenant, qui se cachent pour pas qu’on dise que c’est des Touaregs. Pourquoi ? Il y a des Touaregs qui sont là, en ville, ici à Niamey, il n’y a pas un militaire qui ne m’a pas vu avec mon turban ou ma culture. Ca c’est moi. Ici je dis, comment je veux quitter mon turban? Celui qui veut quitter, il quitte. Moi, je n’ai pas peur, je suis là. Ma culture, je la garde. Si je veux mourir sur la terre de ma culture, je vais mourir là-bas.»

L’avenir de la culture (et du message qu’elle porte) semble se situer dans la relation à construire avec l’Occident, qui en favorise la diffusion :

- « Depuis que j’ai quitté Takrist Naka je suis venu à Niamey. Il n’y a pas une porte où je ne suis pas entré. Aujourd’hui, je suis dieu merci, en France, j’ai rencontré des artistes. Partout, j’ai partagé.»

De la marginalité à la défense de la « culture » ; construction du prestige Al Guitara

Ce témoignage montre comment les musiciens ont fait partie intégrante de la rébellion en jouant le rôle d’ « intellectuels organiques », vecteurs du message rebelle. L’histoire de l’élaboration de cette musique a pourtant été conflictuelle. En Algérie, l’immigration massive des Touaregs Kel Adagh a posé un problème d’intégration avec les populations Kel Ahaggar qui les avaient accueillis. L’arrivée des Touaregs du Niger venus se regrouper à Tamanrasset amplifie ce phénomène né dès les années 1960.

Tamanrasset, pour nombre de jeunes touaregs maliens et nigériens, devient progressivement une étape sur la route de la Libye où les émigrés trouvent travail et éducation politique. Les allersretours qu’ils effectuent enrichissent leurs pratiques culturelles. La diffusion de ces pratiques est favorisée par le besoin de différenciation de ces populations par rapports aux Kel Ahaggar, plus intégrés et qui les voient d’un œil critique comme des pillards peu respectueux des valeurs

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